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au juge, fait prendre le seigneur; et les voilà en procès. Quand le seigneur est en cour, sous sarment, l'avocat lui demande: "Monsieur le seigneur, n'auriez-vous pas pu voler cette jarretière sur une chaise?" — "Oui, j'ai volé la jarretière sur une chaise."- "Vous auriez bien pu voler la chemise sur la corde où elle était étendue, dehors?" - "Oui." "Vous auriez bien pu envoyer votre servante en quêteuse demander à loger chez la princesse ?"-"Oui." "Elle n'a pas volé les anneaux dans le tiroir de la commode de la princesse ?""Oui." "Pendant qu'elle dormait, elle ne lui a pas arraché les trois poils d'or qu'elle avait sur son épaule gauche ?"-"Oui."-"Monsieur le juge, vous en avez pris note? Ça fait que... le seigneur a-t-il perdu ses biens, monsieur le juge?"-c'est la femme avocat qui plaide sa [propre] cause! Elle se retourne vers le prince, son mari, et elle lui demande: "Pourriez-vous reconnaître votre femme si vous la voyiez?" Il répond: "Oui, je la reconnaîtrais." L'avocat 'dit ni un ni deux,'2 mais il passe dans une chambre voisine. De la chambre il sort une princesse, sa femme, qui dit: "Me reconnais-tu, mon mari ?"-"Ah oui! je te reconnais, ma femme." Elle le prend par le cou et lui donne un beau bec en pincette, là, devant tout le monde. Le juge dit: "Monsieur le prince, vous avez gagné tous les biens du seigneur, que je condamne."

Le prince s'est en allé avec la princesse, sa femme, à son château, où ils ont toujours vécu heureux, depuis. Quant au seigneur, lui, il s'est mis, à son tour, à marcher 'tant que la terre le portera;' et il marche encore.

68. LE GRAND VOLEUR DE PARIS. 3

Une fois, il y avait, à Paris, un homme qui était voleur de son métier.

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Ayant entendu parler qu'en France se trouvait le plus fin voleur de la terre, il se dit: "Si j'allais le rencontrer ? Qui sait! il ne serait peutêtre pas plus fin que moi."

Le grand voleur de Paris part et s'en va en France. Il y arrive un dimanche matin, avant la messe. Entend la messe en France.

1 Serment.

2 I.e., sans perdre un instant.

Raconté par Narcisse Thiboutot, en août, 1915, à Sainte-Anne, Kamouraska. Le conteur apprit ce conte, il y a une dizaine d'années, d'un nommé Tabel (?) Dionne, du même endroit, et alors âgé d'à peu près 65 ans.

Une autre version de ce conte, sous le nom de "Le grand voleur provincial," fut aussi recueillie à Sainte-Anne, d'Achille Fournier. Cette version sera plus tard publiée.

Le conteur, dans sa naïveté, place ici Paris hors de France; et pour lui "France" semble être un nom de ville. Il ne se maintient toutefois pas dans cette erreur, dans la suite, comme il dit ailleurs: "...royaume de France.'

En sortant de l'église, il regarde partout en remarquant, pour voir s'il ne rencontrerait pas le voleur de France. Tiens! tout d'un coup, il aperçoit un homme qui s'approche tranquillement d'un monsieur et, faisant semblant de rien, hâle la montre du monsieur et la met dans sa poche, sans que l'autre s'en aperçoive. Le voleur de Paris s'en va le trouver: "Monsieur, ce ne serait pas vous, par hasard, le grand voleur de France, dont on parle tant?" L'autre répond: "Oui, c'est ben moé! Et je suis à la recherche du grand voleur de Paris, que je voudrais bien rencontrer."-"Ben! on est tous les deux de compagnié." 1

Le grand voleur de France dit: "Il y a ici, en France, un roi qui est bien riche. Il faudrait le voler. Mais, pour pouvoir le voler, il faudrait se mettre tous deux en société. Vouloir le voler seul, c'est se faire prendre, certain." Le voleur de Paris demande: "Sais-tu où est son argent?"-"Son argent est dans une bâtisse de pierre, dont la porte est en fer. C'est moi qui l'ai bâtie pour lui. Pour pouvoir y entrer, j'y ai laissé une pierre [mobile], qu'on peut arracher au besoin."

La nuit suivante, le grand voleur de France dit au grand voleur de Paris: "Allons tous les deux avec chacun une poche à la bâtisse où le roi garde son argent." Arrivé là, il dit à son associé: "C'est moi qui y entre, le premier soir. Mais demain, ça sera ton tour, le grand voleur de Paris." Une fois rentré, le voleur de France emplit les deux poches 'bien pleines' d'or et d'argent. Sorti, il remet la pierre com'i'faut, à sa place, prend le chemin et s'en vient à sa maison avec l'autre voleur.

Le lendemain, pendant que le roi examine ses richesses, il s'aperçoit que l'argent a été brassé. Bien tracassé, il s'en va chez une sorcière des environs, et lui demande: "De quelle manière faut-il m'y prendre pour attraper le voleur qui prend mon argent ?" Elle répond: "Je ne vois pas d'autre chose que ça: quelqu'un a une clef qui fait sur votre porte." - "Ça ne se peut pas, répond le roi; il n'y a qu'une serrure et une clef comme celles-là dans tout le royaume de France." "Eh bien! laissez faire encore. Qui sait? C'est peut-être une idée que vous vous faites, sans que personne n'y soit allé." "C'est toujou ben curieux!" dit le roi, en s'en allant.

La nuit d'après, les deux voleurs retournent encore à la bâtisse où le roi garde ses richesses, chacun avec une poche. C'est au tour du grand voleur de Paris à entrer. Il entre, emplit les deux poches d'or et d'argent, sort de là, remet la pierre à sa place com'i'faut; et tous les deux, ils s'en retournent tranquillement.

1 Pour "de compagnie, ensemble."

2 I.e., voler ses biens.

'Thiboutôt se servait ici d'un terme anglais: une pierre de lousse (de “loose").

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Le roi s'aperçoit, le lendemain, que ses richesses ont encore diminué. Il retourne chez la sorcière, et lui dit: "L'or et l'argent fondent! Je ne peux pas comprendre comment ça se fait." La sorcière répond: "Le voleur, c'est peut-être celui qui a fait votre bâtisse? Qui sait s'il n'a pas laissé une pierre [branlante], pour entrer par là dans la bâtisse, se charger d'or et d'argent, et remettre la pierre, en partant?" -"Comment faire pour le savoir?" demande le roi. "Pour le savoir, dit la sorcière, il faut enlever l'or et l'argent de la bâtisse, la remplir 2 de paille, mettre le feu à la paille, et faire le tour en dehors, pour voir si la boucane sort à quelque place."

Le roi, le lendemain, fait charroyer tout son or et son argent ailleurs, emplit la bâtisse de paille, y fait mettre le feu, et ferme la porte. En guettant, dehors, il voit la boucane sortir tout le tour d'une pierre. Il essaie de hâler la pierre. La pierre branle et s'ôte facilement. Le roi s'en va tout droit trouver la sorcière. "Il y a une pierre [branlante), par où il peut entrer facilement." La sorcière répond: "A'ct'heure, reportez-y votre or; et puisqu'il entre en ôtant la pierre, étendez-y' un sabre à la marchette." Peut-être ne sera-t-il pas assez fin pour regarder avant d'entrer; et, en entrant, il se fera couper le cou." Le roi ne prend pas de temps à faire tout ce que la sorcière a dit.

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Le lendemain soir, les deux voleurs se disent encore: "Il faut aller chercher une poche d'or et une poche d'argent." Rendus, le grand voleur de Paris dit au grand voleur de France: "C'est à ton tour de rentrer, à soir." Le grand voleur de France hâle la pierre, et se dépêche à rentrer sans regarder. Le sabre part et crac! la tête tombe là, à terre. Il s'est fait trancher la tête!

Ne le voyant pas revenir, le grand voleur de Paris entre, prend la tête coupée de son associé et l'apporte, laissant là le corps; et il s'en va la jeter à la rivière.

Quand le roi revient, le lendemain, il trouve le corps du grand voleur de France; mais, point de tête! S'en allant voir la sorcière il dit: "On a trouvé le corps, mais sans tête. Et il n'y a pas moyen de trouver de traces à suivre." La sorcière dit: "Pour savoir qui a pris la tête du voleur et pour retrouver votre or et votre argent, il n'y a qu'une chose à faire: prenez un chariot, mettez-y le corps sans tête du voleur, et envoyez vos valets dans toutes les rues de la ville, à la suite du chariot. Si le voleur était marié, quand ils verront passer son corps sans tête, sa femme ou ses enfants pleureront. Ça sera signe que c'est là la maison du voleur, où votre or et votre argent se trouvent."

"Thiboutot répète encore ici: "Une pierre de lousse."

Le texte: "la remplir 'ben pleine' de..."

• Fumée. "Boucane" est d'origine américaine (aborigène).

• Tendez-y.

• Thiboutot disait: "Peut-être bien qu'il..."

"Marchette," terme d'oiseleur.

Le roi fait grèyer un chariot, où il fait mettre le corps du voleur. Le lendemain matin, il envoie ses valets avec le chariot dans toutes les rues de la ville, rue par rue. Mais personne ne pleure, nulle part. Il ne reste plus qu'une petite rue, en arrière. "Il faut toujours y passer, pour finir," se disent les valets. Entrent dans la petite rue. En arrivant à la maison du grand voleur de France, qui était marié et avait six enfants, voilà qu'ils entendent pleurer et se lamenter dans la maison. Le grand voleur de Paris, qui restait là, chez le voleur de France, était en frais de se faire la barbe, et il avait pris la précaution de bien affiler son rasoir. Quand les valets du roi entrent, ils demandent aux enfants: "Qu'avez-vous à pleurer?" Ils répondent: "C'est poupa, c'est poupa!" Le grand voleur de Paris avec son rasoir venait de se couper le doigt, et le sang coulait partout. Il dit: “Eh oui, ces pauvres enfants! ils pleurent parce que je viens de me couper un doigt... Pleurez donc pas, mes enfants! Il n'y a toujours pas de danger que j'en meure." Voyant ça, les valets s'en vont sans rien dire, et racontent leur journée au roi.

Retournant chez la sorcière, le roi dit: "Les enfants n'ont pleuré qu'à une place; et quand on y est entré, les enfants disaient: 'C'est poupa, c'est poupa!' En se faisant la barbe l'homme de la maison s'était estropié à un doigt. C'est bien pour ça que les enfants pleuraient." La sorcière répond: "Ecoutez, monsieur le roi, c'était là la maison que vous cherchiez, par rapport1 si l'homme qui s'est coupé le doigt est le grand voleur de Paris, il est bien fin, et, après avoir emporté la tête de son associé, il était bien capable de se couper le doigt. Pour le prendre je ne vois qu'un moyen, le seul moyen: c'est de faire une fête et d'y inviter tous les messieurs de la ville, les notaires, les docteurs, les marchands et les autres. Faites la 'veillée' longue, et gardez-les à coucher. Mais recommandez-leur de ne pas faire d'affront à votre princesse. Si le grand voleur de Paris y est, lui, il sera bien assez fantasse pour ne pas vous écouter. C'est là le seul moyen de le trouver."

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Le roi, le lendemain, fait inviter tous les notaires, les docteurs et les marchands à venir prendre le souper avec lui et à faire une 'veillée' de contes. Tous ces gens sont bien contents de venir; le grand voleur de Paris est un des premiers à arriver. Après souper, ce sont les contes. On s'amuse 'à plein.' A onze heures du soir, le roi dit: "Mes amis, il est trop tard pour retourner chez vous, à soir. Vous allez rester ici à coucher, pour ne pas déranger le monde, dans la ville; et demain matin, vous retournerez chacun chez vous." Les invités ne demandent pas mieux que de rester au château, chez le roi. Ils acceptent donc d'y coucher.

1 I.e., parce que.

3 Fantasque, impudent.

2 I.e., médecins.

Quand il commence à être tard, le roi leur montre où ils doivent coucher. En passant devant la chambre de sa fille, il dit: "Il y a ma fille, la princesse. Sa chambre est ici; et je ne pense pas qu'il y en ait parmi vous d'assez effronté pour oser lui faire insulte." Tous répondent: "Il n'y a pas de danger, monsieur le roi!"

Quand ça vient vers les deux heures, dans la nuit, le grand voleur de Paris pense en lui-même: "Je serais bien mieux couché [dans la chambre défendue]." Il part et s'en va s'y coucher. La princesse se réveille, mais le grand voleur de Paris dort comme un bon. Prenant son petit pot de peinture [indélébile], elle lui fait une marque au front. Puis elle met le petit pot sur le coin de sa commode.

Se réveillant de bonne heure, le matin, le grand voleur de Paris se lève, se regarde dans le miroir, et aperçoit la marque, sur son front. "Ah, ah! il dit, c'est parce que j'ai couché ici que je suis marqué? Je vas marquer les autres pareil." Prend le petit pot de peinture de la princesse, et s'en va marquer tous les autres. Il n'en oublie pas un. En finissant, il se dit: "Les voilà tous pris, comme moi." Quand il a remis le petit pot là où il l'a trouvé, il revient se coucher parmi les autres.

Le matin, le roi vient leur dire: "Levez-vous!" Ils se lèvent: "Mais! crie le roi, vous avez tous fait insulte à la princesse ? Vous êtes tous marqués." "Non, sire mon roi! Non, sire mon roi! On n'a pas fait insulte à votre princesse, certain!" — "Ah! il dit [vous avez été bien effrontés]." Vers huit ou neuf heures du matin, tous les invités repartent et s'en vont chacun chez eux.

Bien embêté, le roi s'en va tout raconter à la sorcière. "Bien, elle dit, monsieur le roi, il faut que le grand voleur de Paris fût de la bande. Il s'est fait marquer, bien sûr; et, comme il est bien fin, il est allé marquer tous les autres. Pour le prendre, je ne vois qu'un seul moyen. Dans la porte qui ouvre sur la chambre de la princesse, je ferais grèyer une trappe qui balance; j'inviterais tous les messieurs à votre fête, comme l'autre jour, et je les garderais à coucher. Si le grand voleur de Paris y est, il sera bien assez fantasse pour [aller à la chambre de la princesse]. Il tombera dans la cave en mettant le pied sur la trappe qui balance. Faites faire la cave si creuse qu'il ne peuve pas sortir. Là vous le prendrez."

Après avoir fait faire une trappe qui balance, le roi invite les mêmes gens que la première fois. Durant la 'veillée,' on conte des histoires, on chante et on se divertit bien. La veillée pas mal avancée, le roi dit: "Mes amis! je cré ben que vous faites mieux de rester à coucher, pour ne pas déranger les gens de la ville, qui dorment depuis longtemps.

"C'est ben, monsieur le roi, on va rester à coucher." "Par exemple! dit le roi, je ne voudrais pas que vous alliez tous à la chambre de la princesse lui faire insulte." - "Ah, craignez pas, monsieur le roi!"

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