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Un

Beau-prince prend sa vieille hache et s'en va bâtir sa grange. volier1 d'oiseaux passe. Il les abat tous sur la grange avec sa branche d'épines. La Belle-jarretière-verte vient lui dire: "Tu garderas une plume dans ta poche." Le soir, Beau-prince va demander à Bonévêque de venir 'recevoir' son ouvrage. Bon-évêque vient, grimpe sur la grange, et se met à y marcher dans la plume jusqu'à la cheville du pied. "L'ouvrage est-i ben faite ?" demande Beau-prince. "Mais, répond Bon-évêque, il y manque une plume, Beau-prince?"-"La voilà, Bon-évêque, la plume."

Le soir arrivé, on envoie encore Beau-prince coucher sur les patates, dans la cave. Le lendemain matin, il fait revoler mille pieds en l'air le madrier qui, en retombant, casse une jambe à la femme de 2 Bonévêque. "Mais, Beau-prince, tu me démontes! Te voilà ben malin; tu vas tous nous tuer! Je te donne encore une tâche3 à accomplir dans ta journée. C'est un lac de mille lieues de long et de mille pieds de creux que tu vas avoir à vider. Voilà une chaudière neuve et un panier tout percé. Lequel prends-tu ?" "Je prends le panier tout percé." - "Tes toujours pas trop fou!"

Beau-prince s'en va sur le rebord du lac, et il se met à en vider l'eau avec son panier. Mais l'eau coule à mesure et revient dans le lac. Il n'était pas capable de rien faire. La Belle-jarretière-verte dit: "Beau-prince, quand tu voudras faire ton ouvrage, t[u n]'auras rien qu'à dire 'A moi, la Belle-jarretière-verte!' et je le ferai pour toi. Poupa dira 'C'est la Belle-jarretière-verte qui t'a aidé?' Mais tu répondras 'Je n'en ai pas connu, de Belle-jarrtière-verte.'" Vers la fin de la journée, il appelle: "A moi, la Belle-jarretière-verte!" Et la Belle-jarretière-verte vide le lac. "Venez voir votre lac!" dit Beauprince à Bon-évêque. Bon-évêque répond: "C'est la Belle-jarretièreverte qui a fait ton ouvrage ?"-"J[e n]'en ai jamais connu, de Bellejarretière-verte.”

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Le lendemain matin, Bon-évêque l'envoie construire un pont de mille lieues de long, sur le lac. La princesse lui dit: "Aujourd'hui, jle n'irai pas en criéture, mais en souris; et je t'enseignerai. Ton ouvrage se fera pareil." En arrivant au bord du lac, Beau-prince commence à jeter des cailloux dans l'eau, jette des cailloux. Mais il n'est pas capable de rien faire de bien. Voyant ça, il se couche en disant: "Je penserai à ma Belle-jarretière-verte, et mon pont sera fait." Il s'endort et commence à ronfler. Vers le soir, il se réveille,

et dit: "Ma Belle-jarretière-verte, à moi!" Elle arrive en souris,

1 Un vol.

2 Fournier disait: "la bonne-femme à Bon-évêque.....” Fournier employa ici le mot anglais "une job."

Fournier dit "lequel tu prends?" L'inversion interrogative des pronoms ne se

retrouve que rarement dans la bouche des paysans canadiens.

* Criéture ou créature, i.e., femme, n'est pas pris dans un sens péjoratif.

disant: "Si tu avais pensé à moi plus vite, ton pont serait fini." D'un tour de main, voilà le pont fait, que la poussière en revole à sept lieues à la ronde." Beau-prince s'en va dire à Bon-évêque: "Venez voir votre pont!" Bon-évêque, le soir, s'en vient avec sa vieille, dans son carrosse [auquel sont] attelés deux beaux chevaux noirs, avec un harnois blanc. En partant, il dit: "Beau-prince, embarque et viens 'recevoir' ton ouvrage avec moi." — "Non, répond Beau-prince; quand j'ai eu de l'ouvrage à 'recevoir,' j'y suis allé tout seul. Je n'ai pas eu besoin de vous." Bon-évêque en carrosse commence à traverser le pont. La poussière l'abîme, et il a de la misère à résister. Le soir, Bon-évêque dit: "Beau-prince, tu vas 'aller veiller,' 2 à soir, avec ma Belle-jarretière-verte, dans sa chambre d'en haut." Beauprince part, et s'en va 'veiller' en haut avec la Belle-jarretière-verte. Elle dit: "Papa est après affiler son couteau pour te tuer. J'ai des bottes de trois lieues du pas. Sauvons-nous, 3 tous les deux! Je mets ici un pois et une fève qui volent au plancher d'haut et de haut en bas, et ça va faire ho treu dehaha, ho treu dehaha! et poupa croira que nous sommes encore dans ma chambre à jouer aux cartes. Durant ce temps-là, on va filer notre chemin."

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Après une escousse, Bon-évêque crie d'en bas: "Viens-t'en donc, Beau-prince! C'est le temps de cesser de jouer au ho treu dehaha et de t'en revenir." Mais ça continue à jouer ho treu dehaha, ho treu dehaha. A dix heures, Bon-évêque crie: "Beau-prince, viens-t'en! Si je monte à la chambre de ma Belle-jarretière-verte, je vas te descendre." Mais le ho treu de haha continue toujours. Bon-évêque monte, et trouve le pois et la fève qui sautent au plancher d'haut en faisant ho treu de haha. "Ben, il dit, quand on pense, ma vieille! Ma Belle-jarretière-verte est partie avec lui. Vite, ma bonne-femme, prends tes bottes de sept lieues le pas." Et Bon-évêque donne après Beau-prince. La Belle-jarretière-verte dit: "Papa s'en vient pour nous pogner. Tu me le diras, quand il sera tout près." Une minute après, il dit: "Tiens! voilà ton père qui arrive." Elle prend une brosse et la jette derrière elle. A Bon-évêque cette brosse paraît comme une grosse montagne de pains. "Mais, il dit, qui aurait ce beau pain-là par chez nous, serait ben content!" Il s'en retourne donc chez lui, le dire à sa vieille. Elle répond: "Bougre de fou! c'est une brosse qu'elle a jetée derrière elle. Je vas y aller." Mettant ses bottes de sept lieues, elle adenne après. La Belle-jarretièreverte dit: "Mouman s'en vient, sa câline1o drète à pic sur la tête." 2 Aller passer la soirée. 4 Plafond.

1 Harnais.

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Fournier dit: "Saprons le camp..."

Après un certain temps.

7 I.e., donne la chasse, poursuit.

9

Dans le sens de "qui l'aurait cru?" 8 Saisir.

• Pour "Elle donne après...," i.e., elle part à leur poursuite.

10 Coiffure de femme.

La voyant approcher, elle fait paraître comme un lac devant elle, et elle se change avec Beau-prince en canards, tous les deux. Ayant un petit sac d'avoine, la vieille appelle les canards: "Mes petits, mes petits! venez donc manger de l'avoine." Le canard Beau-prince cherche tout le temps à y aller. Mais la Belle-jarretière-verte le picoche toujours sur le bec pour le faire revirer. La vieille dit: "Ben, ma bougrèse! tu [ne] t'en souviendras pas plus jeune." La Bellejarretière-verte demande à Beau-prince: "Tu ne sais pas ce que maman vient de dire?". "Non." "Eh ben! tu vas t'en aller seul au château de ton père. Mais prends bien garde de te laisser embrasser par personne. Car, si tu le fais, tu oublieras tout ce qui s'est passé durant ton long voyage. Et si personne ne t'embrasse, dans un an et un jour, nous nous marierons." Là-dessus, ils se séparent, la Belle-jarretière-verte s'en allant à la ville, et lui sus eux. 1 Comme il arrive, on vient lui demander des nouvelles du long voyage qu'il a fait. Mais il ne leur en dit rien. Fatigué comme il est, il va se coucher dans son bon lit.

Apprenant l'arrivée de Beau-prince, la voisine, sa marraine, s'en vient à la course' le voir. On lui dit: "Il est couché." Mais ça [ne] fait rien; elle passe dans sa chambre, et elle l'embrasse bien des fois, pendant qu'il dort.

Quand Beau-prince se réveille, il ne se souvient plus de rien en'toute. Il a oublié son long voyage. On lui demande de raconter ses aventures; mais il n'en peut rien dire. C'est comme si rien ne s'était passé.

Après quelque temps, ne se souvenant plus de la Belle-jarretièreverte, le voilà en frais de se marier à une autre. Le roi, son père, invite tout le monde de la ville à venir aux noces, et aussi, sans la connaître, la Belle-jarretière-verte.

Pendant la noce, les invités se mettent à conter des histoires et à chanter des chansons. La Belle-jarretière-verte, elle, est tranquille, et ne parle point. On lui dit: "Mademoiselle, vous n'avez pas une petite chanson à nous envoyer?" Elle répond: "Non! je n'ai qu'une petite curieusité à vous montrer." On aimait bien les curieusités. Montre. C'est un petit coq et une petite poule qu'elle met sur la table. La petite poule fait le tour de la table pit pit pit pit! Et elle dit: "T'en souviens-tu, mon petit coq, quand tu voulais ma Belle-jarretière-verte? Te souviens-tu que je t'ai passé la rivière sur mon dos?"-"Non!" répond le petit coq. La petite poule continue: "Tu as le cœur dur, mon petit coq. Te souviens-tu quand je t'ai fait coucher de l'autre côté de la rivière, et quand je t'ai dit d'aller au château de Bon-évêque, le lendemain matin?"-"Non!" -"Tu as le cœur dur, mon petit coq. T'en souviens-tu, t'en souviens-tu?" Et elle fait le tour de la table pit pit pit pit! "T'en

1 Chez eux.

tu as tout oublié.

souviens-tu, mon petit coq, quand je t'ai fait construire, dans ta jour-
née, un bâtiment couvert en plumes, pour y marcher jusqu'à la che-
ville du pied."-"Non!" La petite poule fait encore le tour de la
table pit pit pit pit! "T'en souviens-tu, mon petit coq, quand je
t'ai aidé à vider le lac de mille lieues de long, et mille pieds de creux,
"Non!"
dans ta journée ?"
"Tu as le cœur dur, mon petit coq;
T'en souviens-tu, mon petit coq, quand je t'ai
fait bâtir un pont de mille lieues de long, dans ta journée; et que,
pour t'aider, je ne me suis pas montrée en criéture, mais en souris ?"
"T'en
-"Non! répond le petit coq, je ne m'en souviens point."
souviens-tu, mon petit coq, quand mon père t'a envoyé 'veiller'
avec moi, dans ma chambre, et quand j'ai dit à un pois et à une fève
de sauter au plancher d'haut, ho treu dehaha, ho treu dehaha ?" - "Non!"

"Tu as le cœur dur, mon petit coq. T'en souviens-tu quand mon
père a 'donné après' nous, avec ses bottes de sept lieues du pas? J'ai
jeté une grosse brosse derrière moi, et ça lui a paru une grosse mon-
"Non!"-"Tu as le cœur dur, mon petit coq. T'en
tagne ?"
souviens-tu, mon petit coq, quand ma mère a 'donné après' nous, sa
câline drète à pic sur la tête, et 'les oreilles dans le crin ?"'-"Non!?"
"Tu as le cœur dur, mon petit coq. T'en souviens-tu, mon petit
coq, quand ma mère a dit ‘Tu [ne] t'en souviendras pas plus jeune'?"
"Oui, je m'en souviens!" dit le petit coq. Tout à coup la mé-
La petite
moire revient à Beau-prince. Il se souvient de tout.
poule fait encore le tour de la table pit pit pit pit! et elle dit: "J'ai-t-i
gagné mon petit coq?" Tout le monde autour de la table se met
à se frapper dans les mains, en disant: "Oui! la petite poule a gagné
le petit coq." Beau-prince s'écrie: "C'est moi, le petit coq!" Et
la Belle-jarretière-verte dit: "C'est moi, la petite poule!" Le roi
continue: "Puisque c'est comme ça, Beau-prince, tu vas épouser la
Belle-jarretière-verte." Rien ne l'empêchait, car dans ce pays-là
on faisait les noces quatre jours avant le mariage. Beau-prince
s'est donc enfin marié à sa Belle-jarretière-verte, dont le père, Bon-
évêque, restait à cent lieues l'autre bord du soleil. Le roi dit: "A'ct'heu-
re, mon garçon, je vas te donner mon château et mon royaume."
ce qu'il a fait.

Et moi, ils m'ont renvoyé ici vous le raconter.

50. LE CHÂTEAU DE FÉLICITÉ. 2

C'est

Une fois, c'était un vieux qui vivait au bord d'une forêt, avec ses trois filles.

1 Métaphore, pour "en colère."

2 Recueilli à Sainte-Anne, Kamouraska, en août, 1915. Le conteur, Narcisse Thiboutot, dit avoir appris ce conte de son oncle, feu Charles Francœur, il y a plusieurs années.

Thiboutot disait: "dans le bord."

!

Le vieux, un bon matin, part et gagne dans la forêt, pour se casser une brassée de petites branches avec quoi ses filles cuiraient le déjeuner. Une fois sa brassée de branches cassée et ramassée, qu'est-ce qui ressoud à lui? Un petit lièvre. "Grand-père, dit le lièvre, pour avoir cassé cette brassée de petites branches, il faut me donner la plus jeune de tes filles. Autrement, c'est ta mort." Voyant ça, le bonhomme dit: "Je vas t'abandonner ma brassée de branches." - "Non, tu ne peux pas le faire. Moi, je suis le plus beau des princes, amorphosé pour tous les jours de ma vie. Quand même tu me laisserais ta brassée de branches, ta vie est au boute si tu ne veux pas me donner la plus jeune de tes filles; je t'amorphoserais pour le reste de ta vie." Le vieux répond: "Je vas aller trouver ma fille, et si elle consent, je te l'amènerai. Si elle ne consent pas, je reviendrai mourir."

Rendu à la maison, il dit à sa cadette: "Ma fille, un de nous - toi ou moi doit sacrifier aujourd'hui sa vie à cause de la malheureuse brassée de petites branches que je viens de casser dans la forêt. Le maître de la forêt est un prince amorphosé sous la forme d'un petit lièvre. Si tu consentais à devenir sa femme, dans un an et un jour il serait démarphosé." La fille répond: "Ah! s'il n'y a que ça à faire, je vas y aller, poupa." Le père s'en va donc mener sa fille à l'endroit où il avait cassé la brassée de petites branches. Qu'est-ce qui arrive à lui? Le petit lièvre, qui dit: "Tu vas me suivre, toi qui es la meilleure des filles. Je t'emmène à mon château, où tu seras la plus belle de toutes les princesses." Partis, ils se rendent ensemble au château, dans la forêt.

Au château, le soir venu, le petit lièvre se change en un beau prince, et dit: "Ma belle, ça durera pendant un an et un jour; car, j'ai trois cent soixante-six peaux de lièvre, que j'aurai à mettre, une chaque jour. Une fois toutes ces peaux repassées, je redeviendrai le plus beau prince de la terre." - "S'il n'y a que ça à faire, répond la jeune fille, tâche de tenir bon, 2 et je t'aiderai."

Après une quinzaine de jours, la jeune fille commence à s'ennuyer. Une idée lui venant, elle se dit: "Si je prenais toutes ces peaux de lièvre et les faisais brûler à petit feu dans la cheminée, ça lui prendrait bien moins de temps à redevenir prince, d'dmeure. Ça serait bien plus désennuyant de rester au château, ailleurs que de passer les journées dans la forêt." Dans la cheminée elle allume le feu, prend les peaux de lièvre et les fait brûler à petit feu. Quand la dernière peau achève de brûler, le petit lièvre entre. "Ah, il dit, ma femme! qu'est

1 Dé-métamorphosé.

Thiboutot disait: "tâche de toffer" (de l'adjectif anglais "tough").

I.e., à demeure, définitivement.

Au lieu de...

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