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Parti, le pêcheur file en pleine mer, vers l'endroit où il était déjà allé. Pendant qu'il jongle, 1 qu'est-ce qu'il voit? La sirène. "Comment, malheureux, tu viens encore chercher du poisson, et tu ne m'as pas amené ton enfant!"-"Pardon, la sirène! mon enfant est dans la chambre de la goëlette. Je l'ai fait embarquer avant mon départ, et je dois te le livrer comme je l'ai promis." "Oui, tu dois me le livrer! Mais tu ne l'as pas avec toi; ta femme l'a fait debarquer pendant que tu détachais la goëlette. Tu vas te charger de poisson pareil, cette fois-ci. Mais il faut que tu me l'amènes, à ton prochain voyage. Le poisson que tu vas prendre de ce coup-icite, c'est le plus beau poisson qui s'est jamais pris." Le pêcheur emplit sa goëlette du plus beau poisson de la mer, et s'en va à la ville, le vendre.

En ville, le fils du roi vient et lui demande: "Comment demandes-tu pour ton poisson et ta goëlette?"-"Je demande mille piastres, et je ne veux plus toucher aux cordages de la goëlette." Ayant reçu son prix du fils roi, il prend les chars 2 et s'en retourne chez lui.

En voyant sa femme, il dit: "J'ai vendu ma goëlette avec la plus belle charge de poisson au fils du roi." Elle répond: "Pourquoi c'que t'as été vendre ta goëlette? Nous n'avions que ça pour vivre, et tu faisais de si bonnes pêches."-"J'aime mieux vivre sur ma terre avec mon enfant que de le perdre en allant pêcher."

Après avoir travaillé dur pendant une couple d'années sur sa terre, il est obligé de la vendre avec tout ce qui lui reste.

Deux ans plus tard, il travaille à la journée, faisant de l'abatis pour les autres.

A l'âge de quatorze ans, son fils Georges va le trouver, et lui demande son canif pour se faire un sifflet. A son père qui lui donne son canif, il dit: "Merci, poupa! je pars en voyage." Le père répond: "Fais pas ça, mon garçon; reste ici!" "Bonjour, poupa!" Il ajoute: "Mouman vous a fait vendre ma vie, et je ne veux pas qu'il vous arrive malheur à cause de moi. J'aime autant partir de moimême, aujourd'hui, que de me faire livrer.” 3

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Une fois parti, il prend un petit chemin le long d'un bois, et marche pendant trois jours. Le long du chemin, il passe près de la carcasse d'un vieux cheval, et il entend un train épouvantable. Un lion, un aigle et une chenille se battent ensemble. Bien en peine, Georges se dit: "Si ces bêtes m'ont vu, c'est bien fini de moi." Tout à coup l'aigle arrive derrière lui et dit: "Venez icite, jeune homme. Il y a trois jours que nous, un lion, un aigle et une chenille nous battons

1 I.e., est songeur.

2 "Prendre le train," curieuse anomalie dans un conte de fée.

Livrer à la sirène.

Ici est introduit un épisode semblable à un de ceux du "Corps-sans-âme" du même conteur (voir The Journal of American Folk-Lore, vol. xxix, No. cxi, p. 27).

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pour manger le vieux cheval, et nous n'avons pas encore fini de nous battre. Venez donc nous le séparer." "Mon aigle, je pense bien que vous avez fini de manger le vieux cheval, et que c'est à'ct'heure mon tour." L'aigle crie: "Ne craignez pas, monsieur! Je réponds de votre vie." Le jeune homme revire et comme il arrive à l'endroit où est la carcasse, le lion et la chenille lui disent: "Sépare-nous ça, et ce que tu feras sera ben faite." Il prend le canif qu'il avait reçu de son père, coupe le cou du cheval, et donne la tête à la chenille, disant: "Toi, la chenille, tu n'es pas grosse, voici ta part. Mange toute la viande après ça, suce toute la moëlle dans les os, et le crâne te servira d'abri dans le mauvais temps." "Merci, monsieur, répond la chenille, c'était justement pour ce morceau que je me battais." De son canif le jeune homme éventre le cheval, donne la forsure à l'aigle, et dit: "Toi, l'aigle, on te voit souvent sur la grève, mangeant toutes sortes de restes. T'es bon pour manger ça."-"Merci, monsieur, c'est pour la forsure que je me battais." "Toi, le lion, dit le jeune homme, tu as des bonnes dents pour les gros os; tu vas manger le restant." Le lion dit: "Merci, monsieur, c'est justement pour ça que, moi, je me battais depuis trois jours." Toutes bien contentes, les bêtes disent: "Il faut vous récompenser."-"Dites-nous donc, demande le lion, où vous allez de ce pas-là ?" "Où je vas de ce pas-là? Je ne le sais quasiment pas plus que vous. Quand j'avais l'âge de sept ans, mon père, pour sauver sa propre vie, m'a promis à une sirène pour une charge de poisson qu'elle lui avait donnée. A'ct'heure, pour me réchapper, je cherche une place où je pourrai rester jusqu'à la fin de ma vie." Le lion dit: "Mon jeune homme, je vas t'indiquer où se trouve un roi3 dont le pays est amorphosé, et dont le château est au fond de la mer, sous cinq cents brasses d'eau. Pour descendre à ce château, où tu pourras démarphoser le roi et épouser sa princesse, souviens-toi d'une chose: sur le château, au niveau de l'eau, il y a une croix plantée sur une colonne surmontant la cheminée. Si tu trouves la croix, tu es bon pour le reste." "Merci, le lion! Je vas essayer de gagner là." L'aigle dit: "Monsieur, servez-vous de nous pour faire tout ce chemin. Quant à moi, je vous donne cette plume. Vous n'aurez qu'à dire: 'Adieux, aigle!' et vous deviendrez aigle, le plus beau de tous les aigles, volant les trois quarts plus vite que tous les autres." Le lion ajoute: "Prends le poil blanc qui se trouve sous ma patte gauche d'en arrière. Si tu veux te mettre en lion, tu n'auras qu'à penser à moi, et tu seras le plus fort de tous les lions." La che

1 Apparemment un canif magique.

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Corruption de "fressure;" ici, le sens accoutumé de ce mot semble être uniquement "le foie."

sé."

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Thiboutot dit: "M'en va l'enseigner où c'qu'il y a un roi que son pays est amorpho

I.e., te changer en lion.

nille dit: "Moi, je ne suis pas grosse; mais ça ne fait rien. Arrache ma patte gauche d'en arrière, et quand tu voudras devenir chenille, tu n'auras qu'à penser à la vertu 'de ma chenille,' et tu seras la plus petite de toutes les chenilles." Les remerciant bien, Georges continue son chemin.

Arrivé au bord d'un fleuve, il s'assied. Qu'est-ce qu'il voit venir, au loin? Un pigeon si fatigué de voler qu'il est prêt à tomber à l'eau. Comme il pense à son aigle, le jeune homme devient aigle, prend sa volée vers le pigeon, et le rapporte à terre, sous son aile. Le pigeon lui dit: "Pour commencer, si je ne t'avais pas eu, je me serais noyé. Ensuite, j'arrive d'une place dont j'avais longtemps entendu parler: c'est de la ville d'un roi amorphosé. J'y ai vu une croix à fleur d'eau, en pleine mer. Toi, l'aigle, qui voles vite, tu pourrais la voir si tu voulais." Toutes informations prises du pigeon, l'aigle prend sa volée vers la croix sous l'eau. En y arrivant, il l'examine com'i'faut, et il y voit tout le long une petite craque. Il se change en chenille, descend dans la petite craque le long de la croix, jusqu'à ce qu'il arrive à la cheminée. Rendu au pied de la cheminée, il aperçoit la princesse qui fait à dîner. Toujours sous forme de chenille il se glisse dans le 'rempli' 2 de sa robe.

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Sitôt la nuit venue, il se change en homme, s'assied à la tête du lit de la princesse et demande: "Comment peut-il se faire que ce beau château soit ainsi à cinq cents brasses sous l'eau ?"-"Je ne le sais pas, moi, répond la princesse; pendant le temps que vous resterez ici, je vas prendre information de mon père." -"Princesse, prenez bien garde de 'me déclarer' à votre père. Mais vous saurez que je peux me changer en lion, en aigle et en chenille; et s'il y a quelque moyen de délivrer votre ville, j'essaierai à le faire. Autrement, vous

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ne trouverez jamais à vous marier." La princesse répond: "Ça fait quelques années que poupa a fait mettre un ban dans tout le pays que celui qui délivrerait la ville m'aurait en mariage." — "Puisque c'est comme ça, répond le jeune homme, informe-toi de ton père pour savoir ce qu'il faut faire."

En 'étendant' la table pour le déjeuner, le lendemain, la princesse dit à son père: "Mais, poupa, je ne pourrai jamais me marier, icite, à cinq cents brasses sous l'eau; jamais qu'on vous connaît personne!" C'est bien pour le coup que je vas rester vieille fille."—"Toi, ma fille, répond le roi, sais-tu ce qu'il faudrait faire pour te marier? Il faudrait 1 I.e., fissure, crevasse.

2 Ici dans le sens de "pli."

3 Thiboutot disait: "à cinq cents brasses en-dessous de l'eau."

4 Thiboutot disait toujours "me mettre en lion."

5 Ce terme est une survivance, ou signifie simplement "déployer la nappe et y mettre ce qu'il faut pour déjeuner."

• Pour "jamais on ne connaît qui que ce soit.'

tuer le serpent qui se trouve dans la savane rouge, fendre le serpent, prendre le pigeon dans son corps, fendre le pigeon1 prendre les trois œufs dans son corps, et venir en casser un sur le bois de la croix. L'eau baisserait jusqu'à la cheminée. Prendre le deuxième œuf, le casser sur le bord de la cheminée. L'eau baisserait jusqu'au de la porte. Prendre le troisième œuf, le casser sur le seuil de la porte; et les chemins seraient partout aussi secs qu'ils l'étaient auparavant. Tu peux être certaine, ma fille, que tu as le temps de mourir avant que tout ça soit fait." "Ah, mon père, c'est plus que certain! Je mourrai vieille fille." Le roi en est bien découragé.

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Le soir, la princesse raconte tout à petit Georges, qui dit: "Princesse, je vas essayer." Georges, le lendemain matin, se transforme en chenille, grimpe dans la cheminée jusqu'au pilier, où il prend la craque; et, à la fin, il arrive à la croix. Sur la croix, il regarde de tous côtés, cherchant où est la savane rouge. Se changeant en aigle, il vole vers le soleil levant, arrive à la grande savane, et aperçoit l'animal de serpent, de soixante pieds de long, dormant au soleil. Se mettant en lion, il saute sur le serpent. Ce sont des cris, des siffles3 et des hurlements. Le lion dit: "Siffle, crie, hurle! Tu vas mourir quand même." Contre la force du lion le serpent ne peut résister, et voilà que des morceaux de serpent revolent icite et là. Le serpent mort, le lion redevient homme; et homme, Georges prend son canif, éventre le serpent. Après le pigeon qui s'envole vite, Georges, changé en aigle, donne à plein vol. Pogne le pigeon, l'éventre, prend les trois œufs dans son corps, les place bien soigneusement dans son mouchoir, et reprend son vol vers la croix sous l'eau. Se jouquant 4 sur la croix, il prend un œuf et le casse sur le bois. L'eau baisse jusqu'à la cheminée. Descendu sur la cheminée, il casse un autre œuf. L'eau descend jusqu'au seuil de la porte. Tout le monde dans la ville est épouvanté. Arrivé sur le seuil de la porte, il y casse le dernier œuf. Voilà toute l'eau partie.

Le roi et sa ville étant démarphosés, Georges, quelque temps après, épouse la princesse.

Peu de temps après, Georges dit à sa femme: "Allons faire un tour, pour voir mon père et ma mère." Sachant que ces gens n'étaient pas bien riches, la princesse se grèye un sac de provisions, et dit: "Apportons-nous des vivres pour une quinzaine de jours."

Comme ils s'en allaient en voiture, le long du fleuve, Georges dit à sa femme: "J'ai bien soif; je débarque et je bois ici." "Ah, elle dit, attends donc! Tu boiras plus loin." Il répond: "Dans ce petit

1 Ce thème se retrouve aussi dans le conte du 'Corps-sans-âme' (The Journal of American Folk-Lore, vol. XXIX, p. 27.)

2 Pour "il faudrait prendre."

3 Des sifflements.

4 Se juchant sur.

là?"

russeau1 tombant au fleuve, l'eau doit être bonne." Il débarque de la voiture et commence à boire, au bord du fleuve. La sirène, qui était là à l'attendre, l'envale. 2 "La sirène! crie la princesse, que viens-tu de faire, là ?" "Je viens de prendre ce qui m'appartient. Son père me l'a promis quand il avait sept ans; et il est rendu à vingtet-un ans. J'avais à le prendre où je pouvais l'attraper."—"La sirène, si tu voulais être raisonnable, tu ouvrirais la bouche pour qu'il se passe la tête. Je veux lui dire un dernier mot, puisque c'est la dernière fois que je dois le voir."-"Je ne peux pas," répond la sirène. Bien sûr que s'il pouvait seulement sortir la tête, il ne serait pas long à se dépendre; la princesse tourmente donc la sirène. A la fin, celle-ci consent à s'ouvrir la bouche, pour qu'il se sorte la tête et reçoive le dernier mot. Georges en se sortant la tête pousse un cri: "Adieux, aigle!" Et il sort de là aussi vite qu'il y est entré. Sautant en voiture avec sa femme, il dit: "Jamais de ma sacrée vie je n'irai boire au bord du fleuve."

Georges trouve son père et sa mère vivant encore à la même place. Bien pauvres, le père travaillait à la journée, et la mère ne suivait pas tant la mode. Après quelques jours, Georges et sa femme revinrent chez le roi, qui leur a donné tous ses biens et son royaume. Aujourd'hui, c'est Georges qui a la couronne du roi.

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En m'en allant, l'autre jour, à la Rivière-Ouelle, je l'ai bien rencontré qui faisait un tour de voiture. J'ai voulu l'emmener pêcher la loche, au fleuve; mais il n'a pas voulu. "Tu ne me feras pas prendre de même, toi! il m'a répondu: la sirène est peut-être là." Quand j'ai vu ça, je me suis en revenu ici à pied. Il était en voiture, mais il n'a pas seulement eu le cœur de me faire embarquer. Et je suis arrivé ici sans un sou.

53. PRINCE-JOSEPH.5

Une fois, il est bon de vous dire que c'est un roi et Prince-Joseph." Le roi demande, un jour, à ses trois garçons lequel d'entre eux est capable d'aller lui chercher de l'eau de la rajeunie à la fontaine des géants. Ti-Jean dit: "Poupa, m'a y aller." Ti-Jean part donc

1 Pour "ruisseau."

Le village voisin de celui du conteur.

4 Thiboutot emploie ici le mot anglais "buggy."

2 I.e., l'avale.

Raconté par Achille Fournier, à Sainte-Anne, Kamouraska, en juillet, 1915. Fournier apprit ce conte, il y a plus de vingt ans, d'un vieillard illettré, nommé Miville, de Saint-Roch-des-Aulnaies.

"Prince-Joseph" est le nom qu'employait à peu près invariablement Fournier. Dans sa première phrase, toutefois, il dit "le prince Joseph."

7 Fournier prononçait "gian."

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