Obrázky stránek
PDF
ePub

sur son bâtiment, marche, marche, et arrive à une île, où il débarque. Il marche sur le beau chemin bien gravé1 et arrive là où une vieille femme garde les moutons du roi. Il 'bande' son fusil pour tirer sur les moutons. "Prenez garde, dit la vieille, de tuer de ces moutons, que je garde pour un roi." Ne l'écoutant pas, Ti-Jean tue un mouton. La vieille dit: "Je vous amorphose en masse de sel, dont vous ne pourrez plus sortir." 3

Voilà un an écoulé, et le roi attend toujours son garçon, qui ne ressoud point. Ti-Pierre dit: "Papa, je vas y aller, moi." Sur son bâtiment, Ti-Pierre part, marche, et arrive à l'île où avait débarqué son frère. Là où la vieille femme garde les moutons du roi, il 'bande' son fusil pour tirer sur un mouton. La vieille dit: "Prenez garde de tuer un des moutons du roi, que je garde. Si vous le faites, ça ne sera pas bien." Il tue un mouton; et la vieille ajoute: "Vous avez tué un mouton du roi; je vas vous amorphoser en masse de sel, avec votre frère."

Après un an, Prince-Joseph dit: "Papa, je vas y aller." Parti sur son bâtiment, il arrive à la même île que ses frères. Marche, marche sur le beau chemin gravé, et arrive au troupeau de moutons. Bande son fusil pour tirer sur les moutons, lui aussi. "Prenez garde! dit la vieille; si vous tuez les moutons que je garde pour le roi, ça sera pas ben." - "Bonne vieille, ça sera comme vous dites. Je ne tuerai pas de vos moutons... Je gagerais ben que mes frères ont tué un mouton ?" "Oui, et je les ai amorphosés en masses de sel." - "Comment ça coûterait-i pour les racheter?" - "Pour les racheter ça coûterait quatre cents piastres." Prince-Joseph donne les quatre cents piastres à la vieille, qui dit: "Prenez ce petit pot de graisse et frottez ces deux petites buttes de sel. Ce sont vos deux frères amorphosés." Il frotte les buttes de sel, et voilà ses deux frères redevenus hommes.

Ils s'embarquent tous les trois sur le bâtiment de Prince-Joseph, marchent, marchent et arrivent à une petite ville toute en cristal, rien de plus beau! Au haut de la porte d'un hôtel, c'est écrit: "Messieurs, entrez ici! Il y a de quoi vous divertir." A Ti-Jean et TiPierre qui entrent le maître dit: "Je ne crois pas que vous ayez assez de biens pour sortir d'ici. Si au bout d'un an et un jour vous n'avez pas payé ce qu'il me faut, vous serez pendus à la porte de mon hôtel." Prince-Joseph, lui, avait continué son chemin, comme il ne voulait pas s'arrêter à la ville de cristal. Le long de sa route, il rencontre une vieille magicienne qui lui dit: "Vous avez un pont tout en

1 Pour "macadamisé;" le mot "gravé" vient peut-être de "gravelé"?

2 Archaisme.

Il semble ici que Ti-Jean est emprisonné dans une masse de sel.

4 Fournier dit: "de quoi à vous divertir."

Fournier dit: "le maître d'hôtel," pour "le propriétaire."

rasoirs à traverser. A midi juste, vous embarquerez sur le dos du vieil ours blanc, le seul qui traverse sur ce pont-là." A midi juste, Prince-Joseph traverse le pont de rasoirs à cheval sur l'ours blanc, entre au château des géants, où il prend de l'eau de la rajeunie à la fontaine. Il ouvre une porte et aperçoit une belle princesse endormie. Regardant à sa montre, il voit qu'il n'y a plus que cinq minutes avant que les géants se réveillient. Se dépêchant, il prend la princesse, la met à cheval sur son ours blanc, et traverse le pont de rasoirs. Les géants se réveillent et, s'apercevant de ce qui vient d'arriver, ils crient: "Ah, mon petit ver de terre, qui aurait pu te pogner t'aurait croqué la croque au sel."

1

En arrivant à bord du bâtiment, la princesse dit à Prince-Joseph: "Prends bien garde d'acheter de la viande fraîche. Si tu en achetais, ça serait ton malheur."

En passant à la petite ville de cristal, Prince-Joseph voit que tout y est en deuil. Il s'approche et voit écrit au-dessus de la porte de l'hôtel: "Les deux fils de [tel] prince seront pendus demain matin s'ils n'ont pas payé ce que ça leur coûterait pour sortir d'ici." Entré dans l'hôtel, Prince-Joseph demande au maître: "Avez-vous ici des princes qui doivent être pendus?" — "Oui, ils le seront demain matin, à sept heures." Prince-Joseph reprend: "Ce sont mes frères. Comment ça coûterait, pour les racheter?"-"Ça coûterait quatre millions, pour les racheter." Payant les quatre millions, PrinceJoseph ramène ses frères, avec lui, sur son bâtiment.

Le voyant fatigué, ses frères lui disent: "Va te coucher! Nous allons mener le bâtiment." Pendant que Prince-Joseph, couché, dort, ses frères lui volent l'eau de la rajeunie et lui mettent dans sa poche, à la place, une bouteille de saumure.

Comme ils arrivent ensemble chez leur père le roi, celui-ci est bien pressé de leur demander qui a rapporté de l'eau de la rajeunie. PrinceJoseph répond: "Poupa, c'est moi qui ai rapporté de l'eau de la rajeunie." Il frotte les yeux de son vieux père avec la saumure. "Malheureux enfant! crie le roi, tu veux m'ôter la vie." Et il ordonne à ses valets d'aller le mener dans la forêt, de lui arracher le cœur, la forsure et la langue, et de les lui rapporter. Les valets se disent entre eux: "C'est de valeur de tuer Prince-Joseph, lui qui est si bon pour nous; il a toujours du bon tabac et des allumettes pour nous, quand il nous en faut. Nous avons une petite chienne; tuons-la, et apportons-en le cœur, la forsure, et la langue au roi." Quand ses valets lui rapportent ça, il s'écrie: "Ah, le malheureux enfant, qui voulait tuer son père!" Et de rage il mord le cœur, la forsure et la langue de la petite chienne, les prenant pour ceux de Prince-Joseph.

1 Pour "se réveillent."

3 C'est regrettable.

2 Fressure.

4 Fournier dit: "mord sur la..."

Dans la forêt, Prince-Joseph s'en va chez un petit charbonnier qui faisait du charbon à quatre sous par jour. Il demande à loger à la femme du charbonnier. "On n'est pas ben riche, elle répond, mais si vous voulez loger ici, restez." Quand le charbonnier, son mari, arrive, il dit: "Ma femme, tu n'aurais pas dû loger un bel étranger comme lui, en beau drap fin; tu vois ben qu'on n'est pas assez riche pour lui." Prince-Joseph répond: "J'aime autant loger su1 les pauvres que su les riches." Le lendemain matin, il donne quatre cents piastres à la vieille pour aller en ville chercher des provisions. En ville, la vieille se promène et fait sa dame avec cet argent. Le monde se met à se demander ce que ça veut dire; elle a tant d'argent, et son mari ne gagne que quatre sous par jour!

Au petit charbonnier Prince-Joseph demande: "Voulez-vous changer d'habillement avec moi?" Prince-Joseph change son bel habit en drap fin pour celui que le charbonnier a sur le dos depuis cinquante ans et qui est noir comme le poêle.

Un coup3 changé d'habit, Prince-Joseph s'en va à la fourche des chemins, où il se met dans une cage de planches. Il est si mal habillé qu'il a quasiment honte. C'qui passe par là? C'qui passe par là? Un seigneur avec sa femme. "Si tu veux, dit la femme à son mari, nous allons engager ce petit homme. Ça m'a l'air d'une physionomie d'homme achevé." 4 Le seigneur répond: "Ma femme! si tu ne cherches qu'à engager tous les courailleux de chemins, je m'en irai par derrière la voiture et tu t'en iras avec lui." La dame fait embarquer Prince-Joseph, s'en va seule avec lui. En passant chez un tailleur, elle lui fait faire un bel habillement. Le voyant bien habillé, elle dit: "A'ct'heure, mon jeune homme, tu vas aller à l'école."

A l'école, la première semaine, Prince-Joseph n'apprend rien en❜toute. 5 La deuxième semaine, il apprend quelque chose; ça va mieux. La troisième semaine, il 'fait des règles' au maître d'école, qui, n'y comprenant plus rien, écrit au seigneur: "Si ce n'est que pour rire de moi [que vous me l'avez confié] vous pouvez garder chez vous ce jeune homme: il est cent fois plus instruit que moi."

Le seigneur met Prince-Joseph à ses livres de compte, et trouve bientôt qu'il fait seul la besogne de quarante hommes. Il renvoie donc tous ses commis excepté sept. Un jour, il dit à Prince-Joseph: "Aujourd'hui, je te donne quatre heures pour régler les livres de compte." Dans quatre heures de temps, tous les comptes sont

1 Su pour "chez."

2 Habillement, parmi les paysans canadiens, a le sens de "habit."

• Une fois...

Du tout.

• I.e., parfait.

On emploie aussi dans le même sens l'expression "faire de la loi à quelqu'un,” ou "en remontrer à..."

réglés; et le seigneur voit que Prince-Joseph a du talent épouvan table. 1

Ça fait que je reviens à la princesse que Prince-Joseph avait délivrée au château des géants. Elle fait battre un ban3 que si PrinceJoseph n'était pas trouvé dans deux fois vingt-quatre heures, le roi lui-même serait mis à mort. Voilà le roi bien en peine. Il dit à ses valets: "Je vous ai envoyé tuer Prince-Joseph dans la forêt, et il faut que je le trouve dans deux fois vingt-quatre heures!" Le voyant si abattu, les valets lui disent: "Ce n'est pas Prince-Joseph que nous avons tué, mais une petite chienne qui nous suivait dans la forêt. C'est son cœur, sa langue et sa forsure que nous avons apportés."

[ocr errors]

Le roi fait atteler deux beaux chevaux noirs à sa voiture, part, et arrive tout droit à la porte du seigneur. C'qu'il voit? Le nom de Prince-Joseph écrit sur le haut de la porte du seigneur. Le roi entre et demande: "N'avez-vous pas ici Prince-Joseph ?" "Oui, PrinceJoseph est ici. Vous pouvez le voir dans sa chambre." Arrivant à Prince-Joseph, le roi dit: "Je te demande pardon, mon fils, de t'avoir envoyé garrocher dans la forêt." Prince-Joseph répond: "Papa, vous n'avez pas besoin de me demander pardon. J'ai été trahi, et vous aussi avez été trahi."

Voilà Prince-Joseph qui embarque dans la voiture de son père, et s'en va avec lui au château. Arrivé, le roi dit à ses valets: "Condamnez les portes et les châssis, pour que personne ne sorte d'ici à soir."

Le soir, au souper, le roi dit: "Mes garçons, vous allez conter votre histoire, d'ct'heure. Toi, Ti-Pierre, et toi, Ti-Jean, contez votre histoire!" Tous deux, ils disent: "Papa, c'est moi qui es allé chercher de l'eau de la rajeunie à la fontaine des géants, pour vous ramener la vue comme à l'âge de quinze ans." Le roi dit: "Toi, Prince-Joseph, conte ton histoire, a'ct'heure." - "Poupa, mon histoire va être plus longue que la leusse. 6 C'est moi qui es allé chercher de l'eau de la rajeunie à la fontaine des géants, pour vous remettre la vue comme à l'âge de quinze ans. Quand je suis arrivé sur l'île de la vieille gardant les moutons pour un roi, j'ai 'bandé' mon fusil pour tirer sur les moutons. Elle me dit: 'N'en tue pas; je les garde pour un roi; et ça serait ton malheur si tu en tuais.' Je n'en ai pas tué, comme l'avaient fait mes frères, mais j'ai écouté la bonne vieille, à qui j'ai payé quatre cents piastres pour mes frères qui avaient été changés en buttes de sel." — "Mon Gieu!" que j'ai mal au ventre! Faudrait que j'aille dehors, poupa!" disent Ti-Pierre et Ti-Jean, en se serrant le ventre à deux mains. "Parole de roi, personne n'ira dehors, icite, à soir!"

1 Extraordinairement.

Fournier disait: "mettre un ban."

Ce soir.

Pour "la leur."

2 Pour "voilà que..."
"Pour "lapider."

' Mon Dieu!

Ça fait que le roi dit à Prince-Joseph: "Quoi'c' que tu leur ordonnes 1 à tes frères?" - "J'ordonne qu'on les mette dans les basses-fosses, pour qu'ils ne revoient jamais le jour." C'est ce qui est fait, sans que personne répète.

Le roi dit à Prince-Joseph: "A'ct'heure, tu vas hériter de mon château et de mon royaume." Pour son mariage à la belle princesse qu'il a délivrée au château des géants, on a fait des belles noces. On a dansé et on a fêté!

Et moi, ils m'ont renvoyé ici vous le raconter.

54. THOMAS-BON-CHASSEUR. 2

Une fois, il est bon de vous dire, c'était un vieux bûcheron, sa femme et leur enfant, qui vivaient au milieu des bois.

Le père, un jour, meurt. Sa vieille reste seule avec son petit garçon, dont le nom est Thomas-bon-chasseur.

Devenu pas mal grand, Thomas-bon-chasseur dit à sa mère: "Il n'y a pas grand'chose à faire ici, et c'est mal'isé, seul au milieu des bois, de gagner sa vie. Il me faut partir et chercher du monde." Quittant sa pauvre mère, il prend la forêt, file, arrive à un château, et entre chez le roi: "Bonjour, monsieur roi! je suis venu m'engager. Avez-vous besoin d'un jeune homme ?"-"Oui, certainement! je vous engage." Voilà Thomas-bon-chasseur engagé.

Plusieurs jours après, en arrivant de la chasse, le roi dit: "Ça fait déjà quelque temps que tu es ici, et tu ne m'as pas encore dit ton nom. Cou'don, comment t'appelles-tu ?"-"Mon nom est Thomas-bonchasseur."-"Sacréyé! tu as un bon nom; et je me demande si tu es aussi bon chasseur que ton nom porte." Ce nom-là fait bien plaisir au roi, lui qui passe tout son temps à chasser, dans la forêt. "Je ne le sais pas, répond Thomas-bon-chasseur; je n'ai jamais chassé."

Le roi, un matin, prend sa longue-vue, regarde vers la forêt, et dit: "Thomas-bon-chasseur, aperçois-tu le gibier, là-bas, dans les bois?" Prenant la longue-vue, le jeune homme regarde, regarde, mais ne voit rien, moins que rien. Jette la longue-vue et regarde avec ses yeux vers la forêt. "Mais oui, je vois le gibier." "Essaie donc de le tuer," dit le roi, en lui donnant son fusil. Thomas-bon-chasseur vise, pan! tue le gibier. Le roi n'en revient pas, lui qui ne peut voir le gibier qu'avec sa longue-vue. Et le roi aime bien son ‘engagé.'

Le lendemain, le roi dit à sa femme: "A'ct'heure, ma vieille, je vas rendre visite au roi mon voisin, qui m'invite depuis longtemps. 1 Quel est le châtiment que tu leur infliges?

Raconté en juillet, 1915, à Sainte-Anne, Kamouraska, par G.-Séraphin Pelletier, qui dit l'avoir appris, il y a plus de trente ans, d'un Canadien-français qui le racontait, dans les chantiers du Wisconsin.

« PředchozíPokračovat »