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Le voilà qui entre dans un bois, où il y a bien long 'de traverse.' Toujours, après bien des journées, il arrive à une petite ville.

L'ennui le prenant, il veut revenir chez son père. Quand il s'informe du chemin à suivre, on lui répond: "Il y a deux chemins; le premier est le chemin ordinaire, mais l'autre a cinquante lieues de raccourci. Monsieur, prenez le chemin de raccourci; mais vous trouverez, à certains endroits, qu'il n'y a pas de pont sur les rivières." Petit-Jean répond: "Oui, je pique au raccourci; quand il me faudra un pont sur les rivières, je couperai avec mon sabre un gros arbre, qui me servira de pont."

Il part, marche et arrive à une grande rivière. Comme il n'y a pas de pont, avec son sabre il coupe deux arbres qu'il fait tomber de travers sur la rivière. S'en servant comme d'un pont, il traverse, marche encore, et arrive à une ville. Là, il s'en va à un hôtel et demande à loger. Ayant faim, il demande à manger au maître et dit: "Donnez-moi une bolée de cortons."1 "Mon pauvre ami, répond l'hôtelier, la viande ici est une chose bien rare; le roi n'est pas capable de garder d'animaux. Ses vaches et ses bœufs ont tous été détruits dans la forêt. Les armées qu'il a envoyées pour garder les animaux ont, elles aussi, toutes péri. C'est une chose bien curieuse et triste." Petit-Jean reprend: "Va dire au roi que s'il m'envoie dans la forêt garder ses animaux, il n'aura pas à craindre de malheur." L'hôtelier part et s'en va dire au roi: "Sire mon roi, il y a chez nous un nommé Petit-Jean qui prétend être capable de garder vos animaux, dans la forêt."

Le lendemain matin, le roi envoie ses valets chercher Petit-Jean. Aussitôt que Petit-Jean arrive, il demande: "Tu prétends être capable de garder mes vaches dans la forêt, toi?" "Oui, sire le roi, la peur ne me connaît point." Il part avec le troupeau du roi, et s'en va vers la forêt. Les bœufs ont de la misère à marcher et les vaches tricollent dans le chemin. Mais Petit-Jean les mène en criant: "Hatohol, hatohol!" Rendu dans la forêt, il s'assit sur une souche, en gardant ses animaux. Fatigué d'être assis, à la fin, il part, et s'en va vers la montagne. En chemin, il aperçoit un petit bonhomme, près d'un ruisseau, qui se met les pieds dans l'eau, commence à grandir, et grandit à vue d'œil. Il grandit, grandit et devient si grand qu'il dépasse la montagne, en haut. C'était lui, cet être-là, qui détruisait les troupeaux et les armées du roi. Petit-Jean, qui n'a peur de rien, prend son sabre et se tenant sur le haut de la montagne, d'un coup de sabre, lui 'décolle la tête de sur ses épaules.' Redescendant de la montagne, il aperçoit un beau château, où il entre et rencontre trois princesses. "Mais, princesses, par quelle aventure êtes

1 Panne apprêtée; rillettes du pays. Chancellent.

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S'assied.

vous ici?" 1. "Bien! répondent-elles, nous sommes 'gardées' par trois géants." - "Ah je sais c'que vous êtes d'ct'heure. Demain, je viendrai vous chercher, moi qui ai détruit le petit bonhomme qui grandissait en se mettant les pieds dans le russeau.2 Demain, je ferai périr les géants."

Quand Petit-Jean ramène les vaches du roi au château, ce jour-là, elles ont du lait à plein.' "Sire le roi, demande Petit-Jean, vous n'avez pas de princesses?" Le roi répond: "J'avais trois filles, trois belles princesses. Mais je ne sais pas où'c'quelles sont. Il y a plus de dix ans qu'elles ont été enlevées."—"Je sais ou'c'qu'elles sont, moi. Elles ont été enlevées par trois géants, qui vivent dans le château de la montagne. Quelle récompense me donnerez-vous, sire le roi, si je me bats avec les géants et si je délivre vos princesses?"—"J'ai déjà essayé de faire détruire les géants par mes armées, mais sans réussir. Si tu délivres mes princesses, tu pourras épouser celle qui te plaira le plus."

Le lendemain matin, Petit-Jean part encore pour la forêt, avec ses vaches. Il y a là tellement de bonne herbe que les vaches se soûlent dans un 'rien de temps' et n'ont plus besoin de manger. Pendant ce temps-là, Petit-Jean s'en va de l'autre bord de la montagne, au château des géants. Les géants étant sortis, Petit-Jean se fourre sous une cuve. En arrivant, le soir, les géants disent: "Ça sent la viande fraîche! Qu'est-ce que ça veut dire, nos princesses?" "Vous voyez bien que vous êtes fous, puisqu'il n'y a pas de viande fraîche, ici. Reposez-vous et dormez tranquilles."

Une fois les géants couchés et endormis, Petit-Jean sort de sous la cuve avec son sabre, et, dans un clin d'œil, il tue les trois géants. Aux prisonnières il dit: "Princesses, vous allez vous en venir avec moi, au château de votre père le roi." Et ils s'en vont tous les quatre au château du roi. "Laquelle de mes princesses veux-tu épouser ?" demande le roi à Petit-Jean. Celui-ci répond: "C'est la plus jeune que j'épouse." Pendant les noces, le roi donne à Petit-Jean son château et son royaume, en lui disant: "Ça te revient, puisque seul, avec ton sabre, tu as été capable de détruire ce qui avait causé la perte de toutes mes armées."

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1 Le texte du conteur ici, est: "Par quelle aventure que vous êtes icite?"

2 Ruisseau.

* A en juger par la sécheresse de ce récit, il est évident que Fournier en avait oublié nombre de traits.

58. LES TROIS FRÈRES ET LA BÊTE-À-SEPT-TÊTES.1

Une fois, c'est bon de vous dire, il y avait un roi.

Ses trois garçons, un jour, viennent lui dire: "Poupa, nous avons tous les trois décidé de partir. Donnez-nous chacun un chien, un poney, un lion et une fleur de votre rosier." 2 A chacun de ses fils le roi donne un chien, un poney, un lion et une rose.

Partis tous les trois en voyage, les frères arrivent à la fourche des quatre chemins.3 L'un d'eux, nommé Petit-Jean, dit: "Vous, mes frères, restez ici à m'attendre. Je vous laisse ma fleur; gardez-la bien. Mais si elle vient à pâlir, accourez à mon secours." Ses frères y ayant consenti, il part et s'en va. Arrive chez un forgeron comme il n'y en a guère, de nos jours. Il se fait faire par le forgeron un sabre coupant à sept lieues à la ronde. Vingt piastres, c'est le prix que lui demande le forgeron.

Le sabre sur son épaule, Petit-Jean part et arrive dans une petite ville voisine. La ville est toute en deuil. Entrant chez un vieillard, il demande: "Mais pourquoi donc la ville est-elle toute en deuil ?" Le vieillard répond: "Une des princesses du roi va être dévorée par la Bête-à-sept-têtes, demain matin, sur la plus haute montagne." PetitJean couche chez le vieux, cette nuit-là, et, le lendemain matin, il monte sur la haute montagne, où la princesse va être dévorée. "Belle princesse, dit-il, que faites-vous, ici ?" Elle répond: "A tous les sept ans, la Bête-à-sept-têtes dévore une des princesses de mon père."— "Bien! moi, je suis venu combattre avec la Bête-à-sept-têtes. Si vous voulez promettre de m'épouser, je vas vous sauver la vie." La princesse répond: "Certainement, je le promets; et vous l'aurez bien gagné si, en tuant la bête, vous me sauvez la vie."

Tout à coup on entend un vacarme épouvantable. Voilà la Bêteà-sept-têtes qui, s'approchant, se fait un chemin à travers le bois et renverse les arbres sur son passage. Comme elle approche, PetitJean, du premier coup de sabre, lui abat cinq têtes. "Quartier pour un quart d'heure!" demande la Bête-à-sept-têtes. Le quart d'heure passé, la bête s'élance de nouveau. Petit-Jean, avec son sabre, envoie revoler à cent pieds en l'air les deux têtes qui lui restent. Aussitôt qu'il met son sabre sur le dos du [monstre], les têtes se fendent en quatre. "Princesse, dit-il, donnez-moi votre mouchoir de poche, pour que j'y mette les sept langues de la bête." Ayant enveloppé

Recueilli à Sainte-Anne, Kamouraska, en juillet, 1915. Le conteur, Achille Fournier, dit avoir appris ce conte, il y a bien longtemps, de Jérémie Ouellet, aussi de Sainte-Anne.

2 Voici le texte du conteur: "On voudrait avoir chacun un chien, chacun un poney... et chacun une fleur"...

3 Fournier disait: “aux quatre fourches des chemins."

les langues dans le mouchoir, il ajoute: "Vous, princesse, retournez au château de votre père. Moi, je retourne chez le vieillard qui me loge." Et il part seul.

En chemin, la princesse rencontre le charbonnier du roi, qui dit: "C'que c'est que ça? Tu devais être dévorée ce matin par la Bêteà-sept-têtes, et te voilà ?" Avant qu'elle puisse tout lui expliquer, le charbonnier reprend: "Il faut que tu déclares à ton père que c'est moi qui t'ai délivrée et qui ai tué la bête; autrement, je te fais mourir." Il faut bien qu'elle le lui promette! Toujours qu'elle part avec lui, dans son tombereau, et remonte à la montagne. Là, il prend les sept têtes de la bête, les met dans le tombereau et redescend au château du roi. "Sire le roi, c'est moi qui ai délivré votre princesse et qui ai tué la Bête-à-sept-têtes avec ma pelle et mon pic." N'en revenant pas, le roi dit: "Et moi qui ai envoyé une centaine d'armées pour la détruire, sans y jamais arriver!"

C'est donc le charbonnier, qui prétend avoir délivré la princesse, qui l'a gagnée et qui va l'épouser.

Quand les noces commencent, Petit-Jean dit à son chien: "Va me q'ri le plus beau rôti qui se trouve sur la table de noces, chez le roi." A la porte, le chien gratte et sile. La princesse dit: "Laissez-le donc entrer." Après avoir regardé le chien, la princesse va trouver son père le roi: "Poupa, voulez-vous m'accorder une grâce?" -- "Qu'estce que c'est donc, ma fille ?" "Donnez-moi le plus beau rôti sur votre table."-"Foi de roi, prends-le." Prend le rôti sur la table, sort et va l'accrocher au cou du chien, qui repart et va trouver son maître.

Une fois le chien revenu, Petit-Jean dit à son petit poney: 2 "Toi, va chez le roi, me chercher le plus beau pain qui se trouve sur sa table." Quand le petit poney cogne à la porte du château, la princesse le fait entrer. L'ayant regardé, elle part et va trouver son père: "Poupa, une deuxième grâce: je voudrais le plus beau pain qui se trouve sur votre table."—"Foi de roi, prends-le encore." Elle le prend, sort et va l'accrocher au cou du petit poney, qui s'en retourne à son maître. Petit-Jean dit alors à son lion: "Toi, va me chercher la plus belle bouteille de champagne sur la table du roi." Quand le lion arrive au château, en grondant, on lui ouvre la porte. proche du roi, qui a quasiment peur. prenez garde de vous faire dévorer. belle bouteille de champagne sur votre table."-"Foi de roi, donnez'i." A ses valets le roi dit: "Vous autres, allez voir où c'que va tout ce manger-là. Il y a quelque chose qui ne va pas." Les valets partent sur les traces du lion et arrivent chez Petit-Jean. En en

1 De surprise.

Fournier prononçait pâné

Le lion entre et s'ap"Mon père, dit la princesse, Donnez-moi pour lui la plus

Où est-ce que...

3

trant, les valets disent: "Qu'est-ce que ça veut dire ? Vous faites tout charrier le manger du roi." Petit-Jean répond sans se déranger: "Allez dire au roi qu'il vienne me trouver, s'il a affaire à moi. Ce n'est pas à vous autres, mais au roi que je parlerai." Les valets répètent ça au roi, qui s'en va tout droit chez Petit-Jean. "Dis-moi donc ce que ça veut dire? Tu fais tout charrier mon manger, ce matin?" "Sire le roi, pourquoi n'avez-vous pas fait inviter ce vieux-ci à votre fête? Il faut qu'il mange lui étou et qu'il se sente des noces,1 comme tout le monde que vous avez invité." Le roi répond: "Vous viendrez tous les deux, à soir, et vous souperez au château."

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Le soir arrivé, Petit-Jean emmène le vieux avec lui, et il entre au château avec le sabre sur son épaule. Entré, il plante le sabre dans le mur, près de la porte. Le château en branle 2. Le château en branle 2-cle n'était pas qu'un petit sabre!

3

4

Pendant le souper, Petit-Jean dit: "A'ct'heure, sire le roi, faites conter son histoire à votre charbonnier. Mais auparavant, faites condamner tout, pour que personne ne sorte d'ici." Le roi dit: "Mon petit charbonnier, conte-nous ton histoire." Le charbonnier commence: "Sire le roi, c'est moi qui ai détruit la Bête-à-sept-têtes avec ma pelle et mon pic. Et j'en ai rapporté les sept têtes dans mon tombereau." "Sire le roi, dit Petit-Jean, c'est-i la coutume, ça? Avez-vous déjà vu des têtes sans langue? Celui qui aurait les sept langues serait-il plus crèyabe que celui qui a les sept têtes?" Comme les sept têtes de la bête sont sur la table, dans un grand plat d'or rempli d'eau, Petit-Jean les vire dans le plat, et il fait voir que, dans leur gueule, il n'y a pas de langue. Il répète: "Sire le roi, celui qui aurait les langues serait-il le plus crèyabe?"—"Ben sûr !" répond le roi. Petit-Jean prend les sept langues dans son mouchoir, et les remet dans les sept gueules, telles qu'elles étaient. Le roi dit: "Ah oui! celui qui a les sept langues est bien plus croyable que celui qui a les sept têtes."-"Ah, ah! hein, hein, hein!... Sire le roi!" dit le charbonnier, en se tenant le ventre à deux mains et en grimaçant,

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"Sire le roi! j'ai les 'coliques cordées.' Laissez-moi sortir d'ici ?" "Personne n'ira dehors icite, à soir; parole de roi! personne n'ira dehors." Se tournant vers Petit-Jean, il lui demande: "A'ct'heure, qu'est-ce que tu lui ordonnes, au charbonnier?" - "C'est moi qui va le mettre en fricassée. Je vas le détruire comme j'ai détruit la Bêteà-sept-têtes." Prenant son sabre, dans un clin d'œil, il le met en charpie. A la place du charbonnier, c'est lui qui épouse la princesse. 1 Fournier disait: "de la noce."

2 Fournier dit: "Le château n'en branle." Condamner les portes et les fenêtres.

• Croyable.

Dans le sens de "à quoi le condamnes-tu ?"

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