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Le soir, dans sa chambre, il plante son sabre dans le milieu du lit: "Qu'est-ce que ça veut dire? demande la princesse; tu as planté ton sabre dans le milieu du lit." Il répond: "Mais pourquoi cette petite lumière que je vois, là?"—"Tous les ceuses qui s'en sont approchés, répond la princesse, n'en sont point revenus." Une fois la princesse endormie, Petit-Jean se lève et s'en va voir la petite lumière. C'qu'il y a, là? Une vieille magicienne qui, d'une voix claire, lui dit: "Tiens, Petit-Jean, prends donc cette tite 2 corde et touche donc à ces tis animaux." Petit-Jean prend la petite corde et met la main sur les petits animaux. Le voilà amorphosé3 en masse de sel, incapable d'en sortir.

Là-bas, à la fourche des chemins, ses frères voient pâlir la rose de Petit-Jean. Un de ses frères dit: "Je vas à son secours." Allant chez le même forgeron, lui aussi se fait forger un sabre coupant à sept lieues à la ronde.

Après avoir passé chez le vieux qui avait logé son frère, il se rend au château du roi. Il ressemblait tellement à Petit-Jean- les trois frères se ressemblaient comme trois gouttes d'eau que, le voyant entrer, la princesse dit: "Voyons, mon cher mari, d'où c'que tu viens done?" Faisant semblant de rien et lui laissant croire qu'il est PetitJean, il répond: "Je reviens de faire un tour dans la ville, pour m'amuser, comme il n'y a rien à faire ici."

Le soir venu, lui aussi plante son sabre dans le milieu du lit. La princesse dit: "Mon cher mari, pourquoi plantes-tu ton sabre dans le milieu du lit?" "Pourquoi cette petite lumière-là ?" demande-t-il. Elle répond: "Mais je te l'ai dit, hier soir: tous ceux qui y vont voir n'en reviennent point." Quand la princesse est endormie, lui aussi s'en va voir la lumière. Il arrive chez la vieille magicienne, qui dit [de sa voix criarde et grêle]: 4 "Prends donc cette tite corde et touche donc à ces tis animaux." Prend la petite corde et touche aux petits animaux. Le voilà amorphosé en masse de sel.

Comme il avait, lui aussi, laissé sa rose à son frère, à la fourche des chemins, la rose pâlit.

Voyant ça, le troisième et dernier frère part, se rend chez le même forgeron et se fait faire un sabre coupant à sept lieues à la ronde. Le forgeron dit: "Il vous en faut donc bien, de ces sabres-là, vous autres!" "N'importe! il nous en faut encore un."

-

Quand, comme son frère, il arrive chez le roi, la princesse dit: "Mon cher mari! mais, t'es toujours parti; tu ne restes pas avec ta femme. Je ne t'aurais jamais cru si trotteux que ça."-"Tais-toi donc, ma femme! J'ai bien des affaires à régler, et je n'ai pas encore assez de temps, dans le jour."

1 Ceux.

2 Petite.

3 Métamorphosé.

Le conteur ici imitait d'une manière comique la voix de la sorcière.

Le soir, comme ses frères, il plante son sabre dans le milieu du lit. "Mais, mon mari! pourquoi plantes-tu toujours ton sabre dans le milieu du lit?" "Ma femme, quelle est cette petite lumière que je vois là ?" "Ça fait déjà deux fois que je te le dis, et tu me le redemandes toujours. Tous ceux qui vont voir cette petite lumière n'en reviennent jamais. La vieille sorcière les métamorphose en masses de sel."

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Quand la princesse est endormie, le jeune homme va voir la petite lumière. La vieille lui dit de sa voix grêle: "Prends donc cette tite corde et touche à ces tis animaux." Il répond: "Arrête un peu, toi! Je ne suis pas pour toucher à tes petits animaux." Siffle après son lion et son chien; et, quand ils ressoudent, il leur dit: "Mon chien, mon lion, dévorez-la.... Mais attendez un petit brin. Toi, vieille sorcière, il faut que tu fasses revenir mes frères." Elle répond: "Prends le petit pot de graisse dans l'armoire et frottes-en les petites buttes que tu vois là." Prend le petit pot de graisse et frotte les buttes. Voilà ses frères délivrés et bien contents. Le lion et le chien ne font de la sorcière qu'une gueulée.

"Tiens! se disent les trois frères, nous nous ressemblons tant que la princesse ne pourra peut-être pas dire qui est son mari. Allons la voir, et ne lui disons pas qui est Petit-Jean." Comme ils arrivent au château, chez la princesse: "Qui est votre mari, belle princesse ? Pouvez-vous le dire?" Elle hésite et ne sait qui prendre, puisqu'ils e ressemblent comme trois gouttes d'eau. Petit-Jean lui fait un clind'œil. Elle dit: "C'ti-là est mon mari."-"Ah, mon bougre, tu lui as fait un clin-d'œil!". "Oui, gredins 2 que vous êtes! Je ne vou

lais pas la mettre si en peine."

Et moi, ils m'ont renvoyé ici vous le raconter.

59. LE CONTE DE FESSE-BEN. 3

Une fois, c'était un vieux et une vieille. Leur seul enfant était un petit garçon; Fesse-ben, c'était son nom.

A l'âge de sept ans, Fesse-ben n'avait pas encore sorti de la maison. Son père, un jour, dit: "Fesse-ben, viens avec moi dans les bois chercher une petite brassée de branches, pour faire du feu." Parti avec son père, le petit garçon le suit à la forêt. Dans la forêt, son père lui casse une brassée de branches. "Tiens, mon petit garçon! apporte ça à ta mère, qu'elle fasse cuire de la bouillie, aujourd'hui." — "Ben, poupa, allez donc la porter, votre brassée de branches. Moi, je vas m'en casser une, et je vous rejoindrai betô." Le père parti pour la 1 Pour "ce petit-là." 2 Fournier prononçait "gueurdin." Récité par Narcisse Thiboutot, à Sainte-Anne, Kamouraska, en août, 1915. Thiboutôt dit avoir appris ce conte à Sainte-Anne; mais il ne se souvient pas de qui.

maison, Fesse-ben entre dans la 'sucrerie,' arrache six érables, les attache en une botte qu'il met sur son dos, et il descend chez son père. En arrivant à ras la maison, il jette sa botte d'érables à terre; la terre en branle six érables, imaginez-vous, ça fait un tas de bois! "Dismoi done! crie le bonhomme son père, mon petit garçon, pourquoi en as-tu tant descendu ?" 2 – “Ben, poupa, on va pt'êt'ben en avoir assez pour sept ans." Ils se mettent tous deux à débiter et à fendre ce bois. Me croirez-vous? Débité et fendu, ils en eurent pour sept ans, à brûler ce bois.

Au bout de sept ans, Fesse-ben a donc quatorze ans. Son père lui dit: "Mon petit Fesse-ben, allons chercher une brassée de bois, ce matin." Ils partent ensemble pour la forêt. Dans la 'sucrerie,' le père casse une petite brassée de branches, et dit: "Tiens, Fesse-ben, apporte ça!" L'enfant répond: "Allez-vous-en avec votre brassée. Moi, je vas m'en casser une." Le bonhomme parti, Fesse-ben arrache douze érables d'un tour de main, attache les érables en une botte, met la botte d'érables sur son dos, et descend chez son père. Arrivé à la maison, il lâche la botte d'érables à ras la maison, ce qui fait un vacarme effrayant. Des branches tombent sur la couverture, écrasent la couverture. La maison tumbe à terre! Le bonhomme et sa vieille, dans la maison, se font écraser, badame! Courant vitement chez le voisin, Fesse-ben dit: "Quand on pense! arrivant avec ma petite brassée d'érables, j'ai bien brisé la maison. Mon père et ma mère, je le cré ben, sont écrasés."- "Vas-y voir, toujours; dépêche-toi!" répond le voisin. S'approchant de la maison écroulée, Fesse-ben regarde, relève les débris et les fait revoler dans le champ d'à côté. Son père et sa mère, il les trouve écrasés. Le voisin à qui il va le dire répond: "Un beau gars! tu fais bien mieux de partir et de ne jamais te remontrer ici, parce qu'on va te prendre et t'emprisonner." - "Ah! il n'y a pas de danger qu'ils me prennent. Je me sauve!" Il part, marche, marche.

En

En chemin, il apprend que le roi du canton a besoin d'hommes. Arrive chez le roi, à qui il demande: "Monsieur le roi, vous avez besoin d'un homme 'engagé'? Comment-c'que vous payez?"-"Je paye cinquante sous par jour." - "C'est bon! m'a' travailler ici."

Le roi, le lendemain matin, lui demande: "Ton nom?" Il répond: "Je m'appelle Fesse-ben."-"Tu t'appelles Fesse-ben, toi? Je n'ai jamais encore entendu ce nom-là." - "Ça se peut ben." - "Comme ça, mon Fesse-ben, tu vas aller faire des fosses, aujourd'hui, avec

1 Au Canada, ce mot a pris le sens de forêt ou bois d'érables où l'on fait le 'sucre du pays.'

Ici et dans d'autres contes, on peut remarquer que les paysans canadiens parlent du haut et du bas de leurs fermes. Cela vient probablement du fait que la plupart d'entre eux vivaient d'abord le long des vallées.

Sens: "Qui l'aurait cru!"

4 I.e., Je m'en vas...

mon homme." Fesse-ben part et s'en va travailler. Comme la terre est pas mal dure à 'manœuvrer,' la pelle ne résiste pas longtemps au bras de Fesse-ben; casse la pelle. "S'il n'a pas de meilleures pelles que celle-là, dit Fesse-ben, moi, je ne suis pas pour m'amuser longtemps ici." S'en allant trouver le roi, il dit: "Cou'don, vos pelles sont bonnes à rien, pour travailler aux fosses."-"Comment, mes pelles sont bonnes à rien? Mon homme a toujours travaillé avec ces pelles-là."-"Si elles sont bonnes pour lui, moi, je trouve qu'elles ne valent rien.” "Eh bien! va t'en faire faire une à ton goût, chez le forgeon." 1 Fesse-ben s'en va chez le forgeron, se fait faire une pelle pesant cinq cent livres. S'en allant les montrer à son maître, il dit: "Tiens, monsieur le roi, à'ct'heure je suis grèyé à mon goût pour travailler aux fosses." - "Puisque tu es si bien grèyé, tu vas aller creuser une fontaine dans le rocher." "Oui, mais avant de creuser cette fontaine, monsieur le roi, il va falloir faire un marché." "Quel marché veux-tu faire ?" "Le marché que je veux faire avec vous? Quand j'aurai travaillé ici pour vous pendant un an, je vous donnerai une claque au derrière, au bout de l'année." Le roi répond: "C'est un marché bien aisé; j'accepte." Fesse-ben ajoute: "Puisque le marché est passé entre nous, il faut en faire un papier." Une fois le papier fait, le roi dit: "A'ct'heure, tu vas aller creuser ta fontaine dans le rocher."

Fesse-ben, la première journée, fait une fontaine de vingt pieds de creux et de quinze pieds de rond, dans le roc. Mais il n'y a pas une goutte d'eau. Quand le soir, il rapporte ça au roi, le roi répond: "C'est rien! travaille toujours là tant que tu n'auras pas trouvé l'eau, quand même ça serait à deux cents pieds de creux." L'intention du roi, c'est de faire périr Fesse-ben en remplissant la fontaine sur lui-il avait peur de lui, et voulait s'en débarrasser. Quand Fesse-ben est à travailler dans la fontaine la deuxième journée, le roi envoie quinze hommes pour débouler 2 la terre sur sa tête, quand il est au fond. Voyant la terre qui déboule, Fesse-ben saute dehors et va dire au roi: "Monsieur le roi, vous n'avez pas enfermé vos poules, à matin. Elles sont là à gratter au bord de la fontaine, me déboulant du sable dans les yeux." "C'est rien! répond le roi; s'ils ne les ont pas renfermés, je vas aller y aller voir." Voyant qu'il ne peut pas faire périr Fesseben, dans la fontaine, le roi se dit: "Il faut trouver un autre moyen.'

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La nouvelle courait que, dans une 'paroisse' voisine, sept diables s'étaient emparés d'un moulin à farine. Le roi se dit: "Fesse-ben, mets du grain dans des poches, attelle le bœuf, et va au moulin faire moudre le grain." Ayant mis du grain dans les poches, Fesse-ben attelle le bœuf et s'en va au moulin. Au moulin, la porte est fermée. 1 Pour "forgeron."

2 I.e., descend, tombe en roulant; vient de "dé" et de "boule” (n. f.).

2

Cogne à la porte. "Le meunier, lève-toi!" Ça ne se lève pas; personne n'ouvre la porte. "Ah, ah! il dit, arrête un peu! Si tu ne te lèves pas, je défonce la porte." Défonce la porte, entre son grain et se met à le moudre lui-même. Comme il achève de moudre son grain, il entend un train épouvantable dans la chambre voisine. "Quand j'aurai chargé mes poches de farine, se dit Fesse-ben, j'irai voir ce qui se passe là." En arrivant à sa charette, c'qu'il trouve? Le bœuf pleumé1 et la viande toute mangée. La peau et les os, c'est tout ce qui reste. "Ah! dit Fesse-ben, ce sont les meuniers qui s'amusent; ils ont pleumé mon bœuf; mais ils n'auront pas tant de plaisir betô, quand j'irai les voir." Cogne à la porte: "Rouvrez-moi la porte!" Personne ne veut ouvrir. Donne un coup de genou dans la porte, qui défonce. Les diables tous ensemble se jettent sur lui. En pognant un par la queue, il l'entraîne dehors en disant: "C'est toi qui a pleumé mon boeuf ? Je vas t'atteler à sa place, à la charrette." Comme les six autres diables courent après lui, il les attrape tous, et les attachant par la queue, il les attelle à la charrette. Les frappant avec une canne, il crie: "Mes maudits! si vous avez pleumé mon bœuf, vous allez ramener ma charge de farine."

Le roi, au château, voit arriver les sept diables attelés à la charrette. Il crie: "Fesse-ben, lâche ça, lâche ça!" - "Comment, lâcher ça? Pensez-vous qu'au moulin on pleumera mon boeuf et que je reviendrai sans farine?" Le roi demande: "Mais pourquoi as-tu emmené ces diables-là ici ?" - "Monsieur le roi, ils ont tué et mangé mon bœuf; il n'en restait plus que la peau et les os. Comme je ne voulais pas rapporter la farine à mon cou, je les ai attelés. A'ct'heure, il faut qu'ils me promettent, avant de repartir, de ne plus mettre les pieds dans ce moulin." Aussitôt qu'il commence à leur donner la volée, les diables promettent de ne plus retourner au moulin.

Dans ce temps-là, le roi entendit conter qu'il y avait la Bête-à-renifler, dans un moulin à carder. Il se dit: "C'est là qu'il faut envoyer Fesse-Ben, pour le faire détruire. Il faut que je m'en défasse avant la fin de l'année; autrement, je serais un homme mort." Donnant de la laine à Fesse-ben, il dit: "Va la porter au moulin à carder; et tu attendras qu'elle soit prête, pour la rapporter." Prenant le tapon 3 de laine sous son bras, il part pour le moulin à carder. Mais ce n'est pas un moulin à carder: c'est la Bête-à-renifler. Elle n'avait que des petites narines, cette bête-là! Elle lui renifle sa laine. Elle aurait pu renifler une grange toute ronde. "Vous êtes trop pressés, les gens du moulin, dit Fesse-ben. J'ai peur que vous ne le soyez pas autant à me remettre ma laine." Après avoir un peu attendu, il dit: "Donnemoi ma laine; elle doit être écardée.

1 Écorché.

Pour "paquet."

Vous aviez l'air si pressés d'avoir

2 Ici Thiboutot se sert du mot anglais "fun."

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