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AMERICAN FOLK-LORE.

VOL. 33.-JULY-SEPTEMBER 1940.-No. 129.

ANECDOTES POPULAIRES DU CANADA,

(Première série.)

I

ANECDOTES DE GASPÉ, DE LA BEAUCE ET DE TÉMISCOUATA, PAR C.-MARIUS BARBEAU.

PRÉFACE.

Les anecdotes populaires sont des récits oraux de composition inédite et récente ayant trait à des péripéties tantôt réelles, tantôt imaginaires, de la vie domestique. Se rapportant à des notions, à des croyances, à des institutions, à des coutumes ou des mœurs qui .. tombent en désuétude, elles prennent la forme de réminiscences personnelles ou de souvenirs communiqués et transmis. Elles sont d'ordinaire réputées véridiques dans le milieu où elles ont pris naissance. Radicalement différentes des contes populaires, qui sont la fiction anonyme d'époques révolues, les anecdotes se rapprochent de notre temps, tout en s'inspirant de sujets et de thèmes fort anciens. Elles sont, en quelque sorte, la petite histoire des événements de chaque jour ou la chronique obscure qui n'a pour dépositaire que la mémoire des foules ou le verbe des illettrés. Pour cette raison, elles réflètent davantage la mentalité, le langage ou la tradition indigènes.1

Les récits anecdotiques sont multiples et variés, comme ils réflètent toutes les phases de l'existence. Ceux que nous avons déjà recueillis au Canada se groupent en deux catégories assez distinctes, suivant qu'ils s'inspirent (1) des croyances héréditaires ou (2) des mœurs contemporaines.

Si les anecdotes basées sur les croyances et les superstitions pré

1 La distinction fondamentale entre ces deux courants traditionnels n'a peut-être pas suffisamment été appréciée par quelques-uns de nos devanciers. Ainsi nous restons un peu sceptiques à l'égard de certaines parties du tableau que M. Paul Sébillot (Folk-lore de France) a fait des croyances et du folklore de France, étant donné qu'il tire ses matériaux indifféremment des contes populaires, des légendes ou des dires régionaux, comme s'ils remontaient tous à la même origine circonscrite.

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dominent dans la série qui va suivre, ce n'est pas que le terroir canadien les possède en plus grand nombre que les autres; leur prépondérance est uniquement due à l'accueil que nous leur avons fait.

Sitôt qu'on leur parle de trésors cachés, de lutins, de fées, d'âmes en peine, d'esprits pleureurs, de loups-garous, de feux follets, d'apparitions, de lieux hantés, d'enchantements, de sortilèges et de revenants, nos conteurs dressent l'oreille, prennent un air connaisseur, et bientôt ils étalent leurs réminiscences de faits qu'ils donnent pour réels, dont quelqu'un des leurs aurait même été témoin. Bien que ces événements légendaires soient dits récents, il n'en est pas moins vrai que leur cadre, leur thème et même leur teneur restent purement traditionnels et se conforment aux modèles anciens qui les ont suggérés en se prêtant à l'imitation ou à l'adaptation inconsciente. Toutes ces notions, emportées de France par les ancêtres, se retrouvent encore identiques, aujourd'hui, non seulement dans les provinces de France, mais aussi dans les pays environnants, où elles circulent probablement depuis des milliers d'années.

A défaut de temps et d'espace, nous devons, bien à regret, omettre toute comparaison de nos données avec celles que les folkloristes d'outre-mer - particulièrement ceux de la France d'oïl-recueillent et publient depuis assez longtemps. Qu'il nous suffise de dire que le parallèle est étroit et constant. (Au lecteur peu versé dans ces sujets, nous conseillons de consulter le Folk-lore de France, en quatre tomes, de Paul Sébillot.)

Les quatre-vingt-onze textes anecdotiques de la collection que nous présentons ici furent pour la plupart recueillis en 1918, à Sainte-Marie (Beauce), aux environs de La Tourelle (Gaspé), et à Notre-Dame-duPortage (Témiscouata). Ils seront plus tard suivis d'une collection considérable de récits analogues obtenus, en 1919, dans le comté de Québec et à Montréal, ainsi que de quelques pièces additionnelles de la Beauce et de Gaspé. Bien que nos matériaux paraissent abondants, ils ne donnent qu'une bien faible idée de ce qui sera longtemps encore disponible aux chercheurs. Au cours de nos enquêtes, nous n'avons qu'incidemment prêté l'oreille à ce genre de traditions. Mais il est évident que leur nombre est quasi incalculable, puisqu'il ne serait pas difficile d'en noter des centaines à chaque endroit, même dans les villages les plus modernisés.

Les conteurs de qui nous viennent les pièces de la présente série sont: I. François Saint-Laurent, pêcheur, âgé de 49 ans (1918), de La Tourelle (Gaspé), qui sait lire, mais dont le langage se caractérise des nuances dialectales particulières à la Gaspésie nord-ouest (Photo. I, Planche XIV, JA FL, No. 130);1

1 Son grand-père paternel, Isaïe Saint-Laurent, venait de Rimouski; son grand-père et son père étaient cultivateurs et pêcheurs. Agathe Dupuis, sa mère, était fille de Joseph Dupuis, et native de Sainte-Marie (Beauce).

2. Charles Barbeau, cultivateur et ancien marchand, originairement de Saint-François (Beauce), et plus tard domicilié à Sainte-Marie (du même comté); âgé de 75 ans (1919) (Photo. 4, Pl. XV);1

3. Hermias Dupuis dit Gilbert, cultivateur, doué de quelque instruction, de Sainte-Marie (Beauce), âgé de 64 ans (1919); 2

4. Alcide Léveillé, ancien cultivateur, rentier, qui sait lire et écrire, âgé de 73 ans (1918), et domicilié à Notre-Dame-du-Portage (Témiscouata) (Photo. 1, Pl. XIII);

3

5. M. et Mme Luc April (nom d'origine italienne: Aprialis), cultivateurs, âgés de près de 60 ans, ayant reçu quelque instruction, et demeurant près du Rocher-malin, à Notre-Dame-du-Portage (Témiscouata) (Photos 2, Pl. 11 et 3, Pl. XV); 4

6. Alfred Saint-Laurent, pêcheur, du "Village" de La Tourelle (Gaspé), âgé de 37 ans (1918);

7. Isaie Vallée, pêcheur, du Chemin-neuf (Gaspé), âgé de 73 ans, et sans instruction (Photo. 2, Pl. XV); 5

8. Mme Thomas Vachon, de Sainte-Marie (Beauce), femme de cultivateur, âgée de 69 ans (1919), et possédant quelque instruction; 9. Maurice Bastien, ex-grand-chef des Hurons de Lorette (Québec), industriel, âgé de plus de 60 ans (1919);

10. Mlle Louise Routhier, de Sainte-Marie (Beauce), cuisinière, âgée de plus de 60 ans (1919), et pourvue d'un peu d'instruction;

II. Mme Henriette Nadeau (née Duperré), de Notre-Dame-duPortage, âgée de 98 ans (1918), sachant lire;

12. Salomon Nadeau, du même endroit, âgé de 87 ans, et sans instruction (Photo. 2, Pl. XIV);

1 Son père, Louis Barbeau, avait longtemps vécu à Saint-Joseph (Beauce); sa mère, Catherine O'Brien, était Irlandaise de naissance et ne parlait que le français, ayant, toute jeune encore, émigré au Canada avec ses parents.

2 Père: Georges Dupuis; grand-père, Antoine D. de Saint-Joseph (Beauce); grand'mère paternelle, Marie-Louise Bisson, de Sainte-Marie (Beauce). Mère: Marie Gagné, fille d'Antoine (?) Gagné, de Sainte-Marie. Sur ses ancêtres éloignés, M. Dupuis nous a dit: "Les plus anciens de la famille Gilbert Dupuis venaient de France; ils s'étaient établis sur l'Ile-d'Orléans. Sur les régistres de Saint-François (Ile-d'Orléans) on mentionne Gilbert Dupuis, célibataire; et on dit qu'il était originaire de Bour, petite ville près de Lyon (France)."

Mère: Henriette Nadeau, native de la Rivière-du-loup (Témiscouata); père: Louis Léveillé, des Ecureuils (Portneuf).

Luc April, aussi âgé de

4 Mme April, née Emiline Boucher, âgée de 58 ans (1918). 58 ans, né à Saint-Antonin (Témiscouata); son grand-père paternel, Aprialice ou Aprialis (?) était italien et sa grand'mère canadienne; sa mère était née à la Rivière-du-loup, de Joseph Plourde.

' Père: François Vallée, natif du Bassin de Gaspé; grand-père, François V., de SainteMarie (Beauce); grand' mère paternelle, Christine Wagner, née en Allemagne.

Née Olympe Gagnon, à Sainte-Marie (Beauce).

7 Père: Joseph Nadeau, aussi de N.-D.-du-Portage; mère, Angèle Roy dit Desjardins, de Kamouraska.

13. Gédéon Morency, de Sainte-Marie (Beauce), âgé de 60 ans. Suivant notre méthode habituelle, nous avons recueilli en sténographie les textes dictés par les conteurs; seulement dix-sept anecdotes racontées par Charles Barbeau furent prises au phonographe (Standard Edison), à titre d'essai - d'ailleurs avec succès. Dans la préparation des textes pour l'impression, nous nous sommes conformés aux originaux, sauf là où nous insérons entre crochets [ ] des mots restaurés. La fidélité de notre transcription, nous ne l'ignorons pas, déplaît à quelques lecteurs canadiens, qui préféreraient des textes retouchés ou adaptés.

Comme nos anecdotes proviennent de conteurs populaires que n'ont guère affectés les contacts et l'éducation de nos jours, il va de soi que leur phraséologie s'éloigne des règles académiques et que leur fond soit peu contaminé de rationalisme ou d'incrédulité. C'est qu'elles descendent en ligne directe d'anciennes couches dialectales et folkloriques de la langue d'oïl, telles qu'on les trouve encore représentées dans le bassin de la Loire et en Normandie, d'où vint la grande majorité des anciens colons du Canada. Leur pureté relative a d'ailleurs été sauvegardée dans une large mesure grâce au conservatisme de leurs milieux isolés et restés stationnaires jusqu'à il y a moins de cinquante

ans.

L'ancienne tradition orale française étant sur le point de s'interrompre, il est urgent de recueillir les précieux vestiges du passé avant qu'ils tombent dans l'oubli. Cette cueillette doit s'effectuer d'après les méthodes les plus sûres et les plus exactes. Les folkloristes, par le passé, se sont trop souvent contentés de rapporter en résumé ou d'une manière abstraite les notions populaires qui, dans leur ensemble, constituent le folklore. Nous croyons, cependant, qu'il vaut mieux les conserver dans leur forme concrète, afin d'en donner une image plus fidèle et complète. N'oublions pas que l'abstraction et la théorie en soi ne sont point le produit de la mentalité primitive ou rustique, mais celui de l'esprit moulé dans les formules philosophiques des écoles. Quand le paysan parle de sortilèges ou de loups-garous, par exemple, il use uniquement de narrations se rapportant à tel sort ou à tel loup-garou en particulier. Si sa connaissance embrasse plusieurs aventures relatives à ces croyances, il les rapporte séparément et avec minutie. Nous avons remarqué qu'il est inutile de lui en demander un résumé, encore moins une généralisation satisfaisante. Il sait bien ce que fut tel loup-garou, dont on a parlé; mais le loup-garou abstrait n'existe pas dans son esprit. En un mot la digestion intellectuelle des faits concrets, les phrases creuses et les formules à sens vague ne sont point son fait. Le folkloriste doit donc s'adapter à ce trait essentiel de l'objet de ses perquisitions, et il ne peut que se prévaloir de l'expérience acquise et des méthodes maintenant de rigeur dans le domaine de l'ethnographie.

Ces considérations nous ont conduit à présenter ici, dans leur forme naturelle et acquise, les notions archaïques qui se font jour dans les anecdotes particulières des conteurs. Nous n'oserons déduire de théorie générale que quand un nombre suffisant de textes intégraux nous seront parvenus. Alors seulement pourront se démarquer les catégories qui sont latentes dans l'ensemble de données éparses. Vouloir généraliser, en toute hâte, de quelques traits particuliers ou même accidentels, c'est se leurrer soi-même et construire sur le sable. Il ne faudra donc point nous en vouloir de présenter ici des textes crus, dans lesquels foisonnent les lacunes, les sous-entendus, les gaucheries, les termes du terroir ou les expression rébarbatives. Notre but n'est d'ailleurs pas on le verra bien de séduire par l'attrait littéraire ou philosophique, comme il eût été trop facile de le faire, par complaisance. Nous ne cherchons qu'à présenter scrupuleusement et intégralement des données historiques destinées aux études comparatives de la linguistique, du folklore et de la psychologie expérimentale populaire.

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Le folklore et l'ethnographie ne sont plus aujourd'hui les demisciences qu'ils étaient il y a cinquante ans. Des progrès graduels dans la méthode, la technique et la poursuite des buts à atteindre ont définivement rangé parmi les sciences ces études qui ont pour objet l'analyse et la synthèse des traditions orales anciennes qui se sont perpétuées jusqu'à nous et qui n'ont pas encore trouvé place dans la documentation permanente de nos archives historiques.

En terminant, notons qu'une partie des anecdotes qui suivent, celles de Gaspé et de Témiscouata, ont été recueillies au cours d'enquêtes folkloriques entreprises pour la Section d'anthropologie du Musée national du Canada; les autres ont été rassemblées indépendamLa préparation des textes et des manuscrits s'est effectuée sous les mêmes auspices.

TEXTES ANECDOTIQUES.

A) Les trésors cachés ou enfouis.

Remarques préliminaires.

Il n'existe guère, en Europe, de tradition plus ancienne et plus généralement répandue que celle des trésors cachés. Sous la garde d'un être surnaturel un nain, un dragon, un monstre, le diable ou une âme en peine - ces richesses fabuleuses furent de tous temps convoitées par ceux qui prétendaient les conquérir à l'aide d'un procédé magique ou d'une formule merveilleuse. La plus célèbre des légendes inspirées de cette notion préhistorique est celle de l'or du Rhin, qui a suggéré à Wagner le thème principal de sa Tétralogie, celui du dragon et du nain Alberich (Andvari, en Scandinavie) conservant le dépôt enchanté, dont la conquête fatale entraîna la déchéance des dieux.

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