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Dans les provinces françaises, cette tradition se divise en plusieurs rameaux distincts (Voir Sébillot, Folk-lore de France, Table analytique, au mot Trésor, Vol. IV, p. 487). Ces variations, d'ailleurs anciennes, sont aussi représentées et élaborées dans les récits et les souvenirs de nos conteurs du Canada.

Tandis qu'un nain, le "petit bonhomme gris," est le gardien reconnu du trésor des Sauteux, sur la côte de Gaspé (Anecdotes 1, 2), ce sont des âmes, celles de matelots sacrifiés, qui gardent les coffre-forts de bâtiments naufragés, sur la rive sud du Saint-Laurent (1, 4 et une anecdote non publiée de Saint-Denis, Kamouraska). Une main invisible et redoutable s'appesantit sur celui qui tire de l'argent d'une marmite ensorcelée, dont le souvenir ne s'est pas encore perdu dans le comté de Portneuf (94).

Diverses notions se rapportant à la manière de découvrir et de s'emparer des trésors, dont la nature varie, se manifestent dans les anecdotes ici reproduites (1, 2, 3, 4 et 94) et plus particulièrement dans des textes que nous publierons plus tard et qui proviennent de Lorette (Québec) et de Saint-Denis (Kamouraska). Nous avons aussi entendu, sans la noter, une anecdote se rapportant à la recherche, il y a près de cinquante ans, d'un trésor enfoui, près de Sorel.

La médrole (dont il est question dans l'anecdote 3) est un instrument merveilleux de même nature que la fourche de coudre, dont se servent les chercheurs de sources d'eau souterraines, dans Québec. Nulle part ailleurs avons-nous jusqu'ici remarqué ce nom.

Dans les anecdotes 1, 2, 3 et 4, se rencontrent les mots suivants, dont le sens ou l'usage n'est pas familier à tous nos lecteurs: (1) engueulement, pour embouchure; tapon, paquet, petit nuage; boucane, fumée; trique, tour, ruse, dérivé de l'anglais trick; (2) flat, mot anglais pour barque de pêche; le plein, la grève, le rivage du fleuve et du golfe Saint-Laurent- mot dont l'usage, inconnu dans Québec, semble se confiner à Gaspé et aux provinces maritimes; garocher, lancer des pierres; (3) on, dans la classe non instruite de Québec, se substitute à peu près invariablement à "nous" quand ce pronom joue le rôle de sujet; devanture, la grève en avant de la maison en question; à la rase, pour au ras, tout près; aux-à-vis, pour vis-à-vis.

I. LE PETIT BONHOMME GRIS DES SAUTEUX.2

Les Sauteux, ce sont des grosses montagnes qui se trouvent entre L'Anse-à-Jean et le Cap-aux-renards. [Les] Sauteux forment une

1 Parmi les Canadiens de langue anglaise la croyance aux trésors cachés est aussi fort répandue. A différents endroits, dans les provinces maritimes, est supposé se trouver le trésor enfoui par un capitaine Kidd légendaire. Un chien noir monstre, dit-on, gardait un trésor enfoui, à Long Point, dans Ontario. (Voir J. H. Coyne, Proceedings and Transactions, Royal Society of Canada, Section II, 1919-20.)

2 Raconté par François Saint-Laurent, de La Tourelle (Gaspé), en août 1918.

montagne de longueur de trois milles; la hauteur peut [en] être de trois mille pieds. Il y a trois cents pieds [du bas de la montagne] à venir au bord de la mer. Au bord de la mer, c'est tout une batture de grosses roches, de gros récifs. Et là, il s'est perdu quantité de bâtiments. Il y a encore une place [où l']on voit des canons, comme au Russeau-au-Castor; on [y] voit encore un canon. Et à l'engueulement du Russeau-Vallée, aux grand'mers, on voit encore deux canons. C'est seulement pour dire qu'il s'est perdu des bâtiments et bien du monde. Dans les Sauteux, il y a eu des morts d'enterrés. Un de mes cousins a trouvé un mort là; il l'a enterré; c'est dans un naufrage qui s'était] fait. Et depuis ce temps-là, on entend presque tout le temps des choses surnaturelles, de l'autre monde.

Souvent, ils voient un petit bonhomme gris. Tout le monde qui l'ont vu le surnomment le "Petit-bonhomme-gris." Des fois, ils le verront sortir d'un tapon de boucane. D'autres fois, tout d'un coup, il leur apparaît. Seulement qu'il n'est pas toujours de la même grosseur; des fois, il paraîtra plus grand, des fois, plus petit. Mais ça n'a pas d'l'air d'une chose pour faire mal aux autres; c'est seulement pour épeurer. C'est comme si c'était une personne mis[e] pour garder des coffre-forts.

En premier, les bâtiments qui venaient à faire côte enterraient [leur] coffre-fort, et demandaient quel est-ce qui voulait garder le coffre-fort; ils mettaient des gargyens. Et celui qui disait qu'il aimait à rester, ils lui flambaient la tête et ils l'enterraient sur le coffrefort; et personne [ne] pouvait approcher du coffre-fort sans avoir de permission. Mais quand ils sont venus à connaître la trique, les matelots [ne] disaient [plus] qu'ils aimaient à rester pour garder le coffre-fort. Là, ils tiraient à la courte-paille, et celui qui avait la petite paille, il y restait, lui.

Ça été supposé que le "Petit-bonhomme-gris" était un gardien de coffre-forts.

2. LE PETIT BONHOMME GRIS.1

Aux Sauteux, a six milles en bas d'ici, il y a un homme qui s'est noyé. On l'a enterré du long de la grève.

Les années suivantes, les gens allaient faire la pêche, là. J'étais encore jeune, dans le temps; voilà trente-cinq ans à peu près. Le soir, quand ils mettaient leur flat' à terre, ils voyaient des feux sur le plein; ils voyaient un homme à l'entour du feu. C'était un homme avec un costume gris, et un bonnet avec des pendants, sur la tête, comme un bonnet écossais. On le distinguait bien.

Quand les pêcheurs s'approchaient de terre, ils voyaient l'homme au feu, qui se mettait à les garocher. Ils approchaient pour voir ce 1 Raconté par Alfred Saint-Laurent, de La Tourelle (Gaspé), en octobre 1918.

qu'il y avait là, au feu. Quand ils étaient tout prêts, l'homme disparaissait dans la boucane.

Un soir, une des mes cousines, la femme de William Dupuis, avec ses frères et quatre ou cinq pêcheux, étaient couchés là, sur la grève, à côté d'un feu qu'ils s'étaient fait. [Ma cousine m'a raconté:] "Tout à coup, ça m'a pogné par la tête. Je me suis levée; j'ai regardé. Tout avait disparu. Dans la nuit, les caillous descendaient d'après le cap. Ça nous faisait peur."

Ce petit bonhomme gris-là a été vu bien des fois. Les gens l'appelaient toujours le "Petit-bonhomme-gris." Des fois, les pêcheux allaient faire des feux sur le plein. Tout d'un coup, leur feu était bouleversé ou reculé plus loin.

Depuis quinze ou vingt ans passés, il n'a plus été mention d'aucune de ces choses.

3. LE TRÉSOR CACHÉ DE LA CHUNÉE.1

Mon défunt père, quand on était jeune, disait: "Mes petits enfants' vous savez que, le Soir des morts (le lendemain de la Toussaint), on voit des lumières [où il] y a de l'argent de caché. En bas de la côte, qui se trouve sur notre devanture, près de la Chunée, j'ai vu une petite lumière à la rase de la terre. C'est ce qui donne des signes qu'il y a de l'argent de caché là."

Et moi, j'ai été chercher là, plusieurs fois, avec une pioche. C'est qu'il y avait là un coffre-fort de caché, où [se trouve] une lisière de foin de plein ou de foin de marée, du foin plate. C'est sous cette pointe d'herbe, près de la côte, en dessou[s] des racines de grosses souches, que j'ai cherché. Je croyais que c'était là. Mais je me suis trompé. Le coffre-fort n'était pas là. Il était directement sur le bout de la pointe.

Les histoires que mon père nous contait, [c'était quand] je pouvais avoir dans les cinq ans à venir jusqu'à [onze ans, à sa mort.] Toutes les [recherches] que j'ai faites, c'était après ça.

[Quand j'avais] une quinzaine d'années, un bon soir, il arrive une chaloupe avec quatre hommes à bord, qui fait terre aux-à-vis de la Chunée, sur la pointe. On pensait que ces hommes-là allaient venir à la maison. Mais non! Ils allument un petit feu sur le bord du rivage, et ils attendent que le monde [soit] tout couché, avant de travailler. On a douté, d'après ce qu'ils ont fait, qu'ils étaient grèyés d'une médrole, c'est-à-dire d'un instrument pour trouver l'argent caché.

1 Raconté par François Saint-Laurent, de La Tourelle (Gaspé).

2 Saint-Laurent ajoute: "Une médrole, c'est une chose qui se tient avec deux poignées, qu[i] a une tête en cuivre qui vire dans deux gonds, avec manière de pointe qui balance. Quand ça sent l'argent, ça vire du côté [où il y a de l'argent; quand ça arrive vis-à-vis de l'argent, ça plante en bas. J'en ai vu une, à Québec. C'était un Landry, un 'vieux garçon,' qui l'avait. Il m'a dit que c'était une vieille médrole. J'ai pu l'examiner."

Et, le lendemain, le coffre-fort était parti. Ils avaient creusé dans une profondeur de quatre à quatre pieds et demi. Le coffre pouvait avoir un pied et demi de large [sur] un pied d'épais [seur] et trois pieds de long[ueur]. Ils s'[étaient] servi de rances pour le [sortir] du trou. J'ai vu la place. Et nous autres, il [ne] nous a rien resté, qu'à examiner la place du coffre-fort, pour le raconter. Les autres ont parti avec le plus gros profit.

4. LE TRÉSOR CACHÉ DES QUATRE-COLLETS.1

Il y a une pointe, vis-à-vis de l'église [de La Tourelle, où] le chemin maritime passait, autrefois, le long du plein. Cette pointe avance dans le fleuve, et il y a une passe de foin, [où] le chemin se pratique par su[r] la pointe. Les anciens tendaient là des collets aux caribous. Ils y avaient tendu quatre collets; et on a appelé ça “la Pointe-auxquatre-collets."

On a entendu dire qu'il y avait de l'argent, là aussi. On a été chercher, pour voir s'il y en avait, mais on a trouvé d'autres choses; on a trouvé les ossements d'un mort, des ossements humains. Il y avait eu un bois de planté sur ces ossements, avec des chiffres romains dessus. J'ai usé la même pioche là, pour de l'argent.

B) Les lutins.

Ces petits êtres mythiques, qui abondent surtout dans les traditions celtiques, se subdivisent en plusieurs catégories, dont les attributs ne sont pas les mêmes. Sébillot (ibid., Table analytique, Vol. IV, p. 463, et Nains, p. 469) les classifie en lutins: de l'air, de la nuit, des forêts, des montagnes, des eaux, des mégalithes, des grottes, des habitations et des écuries. Cette dernière classe est celle qui prédomine au Canada, du moins si nous nous en rapportons aux anecdotes jusqu'ici recueillies. Ces lutins d'écurie se préoccupent uniquement de chevaux, qu'ils nourrissent avec soin et dont ils tressent la crinière pour s'en faire des étriers. La foi de nos conteurs est sur ce point tellement enracinée qu'ils prétendaient avoir vu la crinière de leurs chevaux tressée, des centaines, même des milliers de fois. Le conteur Hermias Dupuis est peut-être un peu moins crédule. En cherchant à expliquer comment les 'torons' de crins se forment sans le lutin, il invoquait, toutefois, la croyance habituelle, à savoir que la crinière des chevaux se tresse de quelque manière, de soi-même.

La tradition canadienne doit aussi embrasser quelques autres classes de lutins, en particulier celles des eaux et des forêts, pour ne point reparler des gardiens de trésors (1, 2). Une légende de Loretteproblament d'inspiration française - relate que trois sauvages hurons rencontrèrent, un jour, près de la Baie-Saint-Paul, trois petits nains 1 Raconté par François Saint-Laurent, de La Tourelle (Gaspé), en août 1918.

extrêmement vieux et qui faisaient avancer à toute vitesse leur petit canot de pierre.1 Une Huronne de l'Oklahoma nous a raconté l'aventure d'un chasseur qui, s'étant réfugié pendant une tempête dans le creux d'un arbre, au milieu d'une forêt, avait rencontré une naine aux pieds palmés comme ceux d'un canard, aux bras sans jointures, et si vieille qu'elle prétendait avoir vu le déluge. Les soi-disant empreintes des pieds d'un nain sur une pierre se voient encore à Lorette; guidé par des métis hurons, nous en avons nous-même pris une photographie.3

Mots et expressions à expliquer, dans les anecdotes 5-9: (5) crigne, pour crinière; Marlin, pour Merlin, le personnage de la légende celtique; (6) couette de crin, pour tresse; (7) bardasser, pour faire du bruit; (8) le soleil de la porte, pour seuil; ramasser brin par brin, pour grain par grain; je reminais, pour ruminais, réfléchissais; (9) 'torons de crin,' pour tresses; le pâr d'un cheval, pour compartiment; le crin se ressaurait, pour restaurer (?), revenir à sa première forme.

5. LES LUTINS QUI TRESSAIENT LA CRINIÈRE DES CHEVAUX.4 Poléon 5 Vallée, de l'Anse-pleureuse, disait que les lutins tressaient la crigne de sa jument, à tous les jours. Moi, j'ai vu, à presque tous les matins, la crigne tressée des deux côtés du cou et avec des marchepieds, comme pour mettre les pieds d'une personne dedans. Vous [n']avez pas vu de ça, déjà? Vous [n']avez pas vu de ça, déjà?" Moi, ça fait des mille fois que je [le] vois. Je ne sais pas à qu'est-ce que c'est dû, mais c'est le dicton que "c'est le lutin qui l'a tressée."

'Poléon, mon cousin, dit: "Il va falloir que je la fasse détresser pour pas que le lutin soit capable de la tresser encore." J'ai dit: "Comment [vas-tu] faire?" Il [répond]: "Ma femme va la détresser. Ma femme, elle est dans une situation [telle] que le lutin n'aura pas l'avantage [d'y revenir]." Sa femme a détressé la crigne de la jument, et après ça le lutin [ne] la tressait p[1]us.

On disait que le lutin les menait fort, mais il les soignait, et il allait chercher du fourage, bien souvent, dans la grange du voisin, quand il n'y en avait pas dans la grange du maître.

Chez nous, moi j'avais mis une platée d'avoine en haut de la porte de l'étable, pour voir si le lutin allait venir. Le lendemain matin, la

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1 C. M. B., Wyandot and Huron Mythology, Memoir 80, Geological Survey, Canada, p.

2 C. M. B., ibid., pages 111-113.

C. M. B., ibid., photo., p. 435. Voir Sébillot, ibid., I, 362.

♦ Description textuelle de François Saint-Laurent, de La Tourelle (Gaspé).

• Napoléon.

6 Question adressée et répétée à l'auteur.

7 "Sa femme était dans sa grossesse," ajouta Saint-Laurent.

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