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ageurs, ou en géant au visage voilé, il prenait un plaisir malin à harasser ceux qui, en parcourant le 'chemin du roi,' la nuit, passaient au pied de ce rocher, sur la grève.

Plusieurs explications étiologiques — c'est-à-dire imaginées après coup sont fournies par les conteurs sur l'origine de cette hantise. Suivant l'anecdote 21, on y aurait d'abord enterré des morts, qui apparaissaient ensuite aux vivants. D'après une rumeur que nous n'avons pas recueillie textuellement,' des voleurs ou des contrebandiers s'étaient réfugiés dans la caverne du Rocher-malin, et pour ne pas être inquiétés de perquisitions intempestives, ils effrayaient les passants. On ajoute qu'un jour, affolée par eux, une vache, en se précipitant du haut du rocher, s'était tuée, et que, saisis de crainte eux-mêmes, ils s'étaient enfuis, persuadés que le rocher était véritablement hanté. (Photo. 3, Pl. IV).

Des malins (comme on le constate au récit 24) en profitaient pour jouer des tours et s'amuser aux dépends de ceux dont la crédulité n'était pas difficile à exploiter.

Termes à expliquer: (19) Un frète noir, pour un grand froid; (22) Labbé a ressoud par ici, c'est-à-dire est arrivé ici; bosté, pour crever, de l'angl. burst; (24) le baratton est une sorte de piston qu'on actionne à l'intérieur de la baratte; courte-pointe, pour couverture de lit en flannelle aux grands carreaux coloriés; aller de reculons, en reculant; rof, de l'anglais rough, dur, rude.

19. LE CHIEN NOIR, AU ROCHER-MALIN.2

Le Rocher-malin (à Notre-Dame-du-Portage, Témiscouata) a acquis son nom [par] les malices que Charlot [y] faisait. Une des histoires de malices, je l'ai entendue raconter par les personnes mêmes qui avaient eu connaissance de ce qui [est] arrivé.

C'était une femme qui était mariée à un Noël Perrault. Dans ce temps-là, il n'y avait pas de médecin, à la campagne, et il y avait des femmes adroites, des sage-femmes; il y en avait qu'on appelait "pelleà-feu." Un bon jour, une naissance était attendue chez un des frères de Mme Perrault, un nommé Perron. Le moment venu, Perron, [dont la maison était] près du Rocher-malin, est allé chercher Mme Perrault, qui restait [à l'endroit] où se trouve M. Michaud. En arrivant là, il dit: "Ma femme a besoin; viens vite!" Ils partent à la hâte, tous les deux; ils descendent la côte. Aussitôt qu'ils sont passés la clôture du chemin, au ruisseau, un gros chien noir, se trouve en avant d'eux autres. Lui, l'homme, est effrayé, c'est terrible. La femme dit: "T[u] as peur? Durcis-toi donc un peu! C'est un chien 1 Communiquée par Mlles Agnès et Thérèse Duhamel, d'Ottawa.

Récit dicté, en juillet 1918, à Notre-Dame-du-Portage, par Alcide Léveillé, qui l'avait entendu raconter, il y a près de soixante aus.

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comme un autre.' "Ah! il dit, c[e n']est pas un chien comme un autre." Le chien faisait tout ce qu'il pouvait pour l'empêcher de marcher. Il fallait que Perron boute le chien à côté du chemin pour avancer. Mme Perrault a dit: "Amuse-toi pas à te battre avec le chien." Elle le prend par le bras et elle le hàle. Le chien est toujours dans leurs jambes, mais il ne les mord pas.

Ils avaient trois ou quatre arpents à faire. Avant d'arriver, le chien vient devant Perron et lui monte ses deux pattes [de devant] sur les épaules; impossible d'avancer. La femme était forte moi, je l'ai connue elle lui a aidé. Ils ont réussi à gagner jusqu'à la maison; mais le chien n'a pas ôté ses pattes de sur les épaules. [Comme] ils arrivaient à la porte, en débarquant, le chien dit: "Ta femme est morte." La bonne-femme Perrault dit: "T[u] as menti; elle n'est pas morte." La femme n'était pas morte, mais elle était bien près de la mort.

Cette histoire-là, je vous la donne comme je l'ai entendu conter. C'est la mère Perrault elle-même qui la contait.

20. LE PETIT CHIEN NOIR.1

Monsieur Romule (Romuald) Labonté nous avait raconté, une fois, qu'il était allé chercher monsieur le curé pour sa femme ou pour son père.

Il dit qu'en partant du Rocher-malin, au commencement de la veillée, il faisait un frète noir. Aussitôt qu'il est parti, il entend japper un petit chien après lui. Il n'en avait pas, de chien, lui. Le petit chien noir jappait, jappe, tant et tant.

Le chien l'a sui[vi] jusqu'à l'église de Saint-André, à trois heures d'ici. Romule Labonté avait peur; il [ne] pouvait pas comprendre ça, ce petit chien-là. Plus il faisait aller le cheval vite, plus le chien le suivait [de près] — à une dizaine de pieds.

Ça fait qu'il dit ça à monsieur le curé, pendant qu'il le ramenait; il lui conte ça. Le curé [répond]: "Ce [n']est rien."

Quand il retourne mener monsieur le curé, il en reparle encore; ça l'occupait. Il demande au curé: "Qu'est-ce que ça veut dire?" Quand ils furent de retour, le curé dit: "Tu [ne] le reverras pas, le petit chien. Va-t'en vite; [n']aie pas peur."

Puis, en partant de l'église, il s'est endormi. Il s'est réveillé à la porte de chez eux. "C'est bien drôle!" Il pensait que ce petit chienlà, c'était des affaires du Rocher-malin.

1 Raconté par Mme Luc April, de Notre-Dame-du-Portage (Témiscouata). Mme April dit que cette apparition était arrivée à Labonté pendant sa jeunesse, et qu'il est mort, il y a une trentaine d'années, à l'âge de soixante-dix ans (vers 1840).

21. LES MORTS ENTERRÉS AU ROCHER-MALIN.1

Imaginez-vous qu'il y avait une goélette qui venait des Pélerins (petites îles en face du Portage). Il faisait gros vent. A la fin du compte, il fallait gagner terre. Ils gagnent terre au Rocher-malin. Il était mort deux ou trois hommes sur la goélette. Ils terrissent; ils enterrent les [morts] au Rocher-malin. C'est après qu'on est arrivé par ici, ça. Mais le Rocher-malin avait ce nom-là avant que nous arrivions.

Plus tard, les gens d'ici se sont mis à avoir peur des ce hommes-là. Quand [ils] allaient à Saint-André, ils avaient toujours peur [,en passant là]. Voilà les chevaux arrêtés [, tenus par la bride]. Il y avait toutes sortes de choses. Les morts [ne] nous apparaissaient pas souvent. Mais [on] en [a] vu, des choses. Les farceurs en profitaient pour faire peur aux autres.

22. LE GRAND HOMME À LA TÊTE BAISSÉE.2

Baptiste Labbé a ressoud par ici, dans sa jeune âge. Il s'est marié à une de mes cousines, Obéline. Quand il la fréquentait, elle restait chez mon oncle Perron, près du Rocher-malin. Il a souvent eu des petites peurs; c'était un homme pas peureux, robuste un peu rare, un colosse qui se battait bien.

Un bon jour, il a commencé à dire qu'en allant voir [celle qui devait devenir] sa femme, il apercevait un grand homme, si grand qu'il aurait pu passer dans son fourchon, et qui avait la tête baissée. C'était une histoire qui paraissait pas beaucoup croyable. Il paraît qu'il avait vu ce grand homme-là, cinq ou six fois, marcher dans le champ, à côté de lui. Il arrivait sans [qu'il soit possible de] savoir d'où il venait, et il disparaissait [de même]. Ceux à qui [Labbé] disait ça répondaient: "T[u] es un poltron, un peureux. Quand tu iras voir ta blonde, dis-nous-le et [nous] irons avec toi." Il dit: "C'est bon, je vas y aller tel soir."

Le soir, il y va; deux de ses amis y vont avec lui. Ils s'arment; ils apportent chacun un fusil. Il dit à ses amis: "Je le vois quasiment toujours au voisinage du pont. C'est ici que je le perds ou qu'il arrive; je suppose qu'il se cache sous le pont." Ils s'entendent; ils disent: "Toi, va passer par le bout sud du pont, et moi, par le bout du nord. Par n'importe quel bout qu'il sera, [nous l'aurons,] certain." Une fois à chaque bout du pont, ils se sont mis à crier: "Y a-t-il quelqu'un, là? Es-tu là?" en faisant des farces. Il leu[r] ressoud

1 Raconté par Mme Henriette Duperré-Nadeau, âgée de 98 ans, à Notre-Dame-duPortage (Témiscouata), en juillet 1918.

2 Conteur, Alcide Léveillé, de Notre-Dame-du-Portage (Témiscouata), qui entendit Baptiste Labbé lui-même faire ce récit, il y a près de cinquante ans. L'apparition est censée avoir eu lieu il y a plus de quatre-vingts ans.

un coup de vent qui les jette à terre tous les deux, à chaque côté du pont.

Et mon histoire finit là; ils n'ont rien vu. Il avait bosté, faut croire! Après ce temps-là, Labbé était toujours resté peureux.

23. LE MOULIN HANTÉ.1

Une autre histoire du Rocher-malin, qui est plus croyable que celle du chien noir, c'est celle-[ci]; je l'ai entendu conter à mon défunt père, à qui [elle] est arrivée.

Il y avait sur ce ruisseau-là un petit moulin à scie. Le ruisseau faisait marcher une châsse de trois scies, une ancienne châsse. Quand mon défunt père s'est établi ici, il a [bâti] ce petit moulin pour débiter du bois pour les nouveaux colons qui prenaient des terres. Ils charroyaient du bois, l'hiver. Le moulin a marché trois printemps.

Plusieurs-il contait ça pour une chose vraie, plusieurs l'ont averti que des malfaisants brisaient ses scies. Quelqu'un a commencé à lui dire: "Comment c'que t[u] as trouvé ta scie, à matin." Il répondait: "[Comme de coutume]." Un tel disait: "J'ai passé, cette nuit, et j'ai entendu frotter des pierres sur la scie. J'ai crié, mais le jeu a conținé, brrr..." Le père répondait: "Mes scies n'ont pas de mal." Il racontait qu'il avait eu des avertissements de quatre ou cinq personnes des environs, mais qu'il ne s'est jamais aperçu que ses scies [aient] eu du dommage.

24. LES TOURS, AU ROCHER-MALIN.2

Autrefois, il y avait des feux follets et des loups-garous. Un de mes amis et moi, [nous] avions entendu parler de feux follets. J'en ai fait, une fois, des feux follets avec [mon] ami.

On avait pris, chacun, une ancienne baratte, dans laquelle on faisait du beurre avec un baratton. C'était une baratte fait[e] comme une tinette grande du bas et petite du haut, avec un bois qui entrait dedans [et qui avait] une petite roulette au bas, pour brasser la crème. C'était un beau soir calme et mort. On dit: "Allons faire des feux follets, à soir." [Avec chacun une baratte], lui s'en va au haut de la côte, et moi, [je reste] en bas [,près du Rocher-malin]. Dans ce temps-là, c'étaient des calèches 3 qu'on avait, ici. Les gens passaient avec leu[r] calèche, et ils faisaient manger leur cheval le long du chemin, chez Pascal Boucher [,au Rocher-malin]. On avait chacun une lumière [qu'on] cachait dans la baratte. Les gens disaient: "Tiens! il (le feu follet) est sur la côte, à ct' heure. [Celui qui était

1 Raconté par Alcide Léveillé, à Notre-Dame-du-Portage, en juillet 1918.

* Raconté par Salomon Nadeau, de Notre-Dame-du-Portage, en juillet 1918. Ces tours étaient joués il y a plus de soixante-dix ans.

La calèche, au Canada, n'a que deux roues.

sur la côte] cachait le feu dans la baratte; et c'était celui qui était sur la grève qui montrait [son feu]. De l'un à l'autre on envoyait le feu follet, comme ça.

Bérubé, le maître d'école, dit: "Qu'est-ce que vous regardez, là?” Et ils s'informaient de lui: "Qu'est-ce que c'est, ça?" Lui répondait: "C'est pas gyâbe, c'est des feux follets." La femme demande: "Sommes-nous près du Rocher-malin?" [Ils en étaient tout près;] ils avaient peur du Rocher-malin; tout le monde [en] était effrayé. La femme dit: "Attelons et sauvons-nous." Ils attellent.

Une fois attelés et partis, ils arrêtent prendre un verre chez Prime Marquis. En passant là, ils ont accroché dans la clôture, renversé, et cassé le brancard de la calèche.

Le Rocher-malin? Ce sont des tours qui ont été [joués] pour faire peur au monde. Il [n']y a pas bien longtemps encore, les gens en avaient peur.

Il y a de mes amis qui, il [n]'y a pas longtemps, ont essayé de faire peur à "la femme infâme." Elle est morte, il ne faut pas réveiller les morts; mais elle était infâme. Deux de mes amis s'étaient cachés [au Rocher-malin]. Ils avaient pris une courte-pointe, et ils s'étaient cachés dans le rocher. [L']un s'était mis sur les épaules de l'autre, debout. Il s'était [placé] des ferrailles sur les épaules, et la courtepointe. Quand la femme a vu ce grand homme, elle s'est mis[e] à aller de reculons. Elle disait "Va-t'en, maudit! [N'] approche pas, maudit!" Elle demeurait de l'autre côté du Rocher-malin, et ça lui coûtait de passer.

Il se faisait des peurs, et c'est pour ça qu'on [l']appelait le "Rochermalin." Dans ce temps-là, le monde était rof pas mal. On passait souvent la nuit à faire des tours.

F) La Chasse Gallery.

Sous différents noms, les "chasses aériennes et les bruits de l'air" sont connus de toute l'Europe. Un auteur latin de l'antiquité donne la description d'une chasse guerrière qui ressemble d'assez près à celles de nos données modernes.1 Dans une étude détaillée des variantes françaises, Sébillot (Folk-Lore de France, I, 166-168) 2 donne la liste des noms sous lesquels elles sont connues dans les provinces, en particulier ceux de: "Chasse Saint-Hubert," "Chasse Arthur," en Normandie; "Chasse Galière," dans la Creuse; "Chasse Gayère," en Bourbonnais; "Chasse Galery" ou "Galerie" en Vendée, en Canada et en Saintonge; "Chasse Valory," dans le Maine.

La tradition canadienne étant de même origine, le nom de "Chasse Galerie" qu'on lui a donné doit résulter d'une fausse étymologie, le

1 Voir Coyne, ibid.

2 Sébillot, Folk-Lore de France, Table analytique, IV, 438.

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