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plus ou moins régionale des chanteurs. Pour ce qui est des mélodies, les premiers couplets de chaque chanson furent phonographiés, les chanteurs répétant eux-mêmes leurs airs pour le phonographe.1

Comme il n'était plus possible de retrouver certains chanteurs consultés avant 1917, M. Massicotte put lui-même répéter leurs mélodies au phonographe ou se les procurer de ses nouvelles recrues.

En suivant nos conseils, M. Massicotte s'est efforcé d'obtenir des données historiques explicites sur chaque chanson, à savoir: l'année et l'endroit où elle fut apprise, et jusqu'à qui elle remonte. L'importance de ces détails-les collectionneurs canadiens ne devraient pas l'oublier- tient surtout de ce qu'ils aident à reconstituer non seulement l'histoire des pièces elles-mêmes, mais aussi certains traits régionaux du milieu où elles circulent. L'étendue et l'intensité de la diffusion d'une chanson permettront de découvrir si elle a été importée au Canada par les immigrants qui fondèrent la colonie (1608-73), ou si elle s'est infiltrée depuis. Venus principalement de la Normandie, du Perche, du Maine, du Poitou, de la Touraine, de l'Anjou, de la Saintonge, de l'Angoumois, de la Guyenne et de la Gascogne, les anciens immigrants français du Canada avaient une certaine tendance à se grouper suivant leurs origines provinciales françaises. Leurs descendants semblent, de ce fait, avoir conservé plus ou moins purs des traits et des traditions qui remontent à des provinces françaises différentes. C'est surtout à cause de ce problème d'origines distinctes qu'il est urgent de noter la source de chaque pièce folklorique canadienne; au point que tout document recueilli sans ses données collatérales perd beaucoup de sa valeur.

Les textes du répertoire Massicotte, les enregistrements phonographiques accessoires et les renseignements nous ayant été transmis au fur et à mesure qu'ils étaient obtenus, nous les avons catalogués et assortis dans des classeurs.

La méthode ethnographique nous a guidé dans la préparation immédiate des pièces que nous offrons dans cette première série. Il ne s'agit pas de faire de l'art, mais bien de l'histoire.

La notation des airs a été faite au moyen de l'audition suffisamment répétée des documents phonographiques. Un grand souci d'exactitude nous a fait reproduire en écriture les "idiosyncrasies," les libertés et même les gaucheries qui ne sont pas admises par l'art musical moderne."

1 Ces pièces phonographiques (Standard Edison Phonograph) sont maintenant conservées dans les archives de la voix canadienne, de la Section d'anthropologie (Ottawa). Le numéro de chaque chanson est inscrit sur le cylindre, sur une carte-index du catalogue, et sur le texte manuscrit. Ainsi il sera désormais possible aux spécialistes de consulter ou d'utiliser ces documents.

* Nous décrivons plus loin les signes spéciaux qui nous permettent d'indiquer avec précision des traits rythmiques ou mélodiques que l'écriture musicale courante ne connaît pas.

Dans la rédaction des textes, nous avons eu recours à l'orthographe ordinaire, non seulement parce que les copies reçues de M. Massicotte en usaient ainsi, mais à cause aussi que la prononciation des chanteurs ne s'éloignait pas sensiblement des normes usuelles. S'il nous arrive de faire des changements dans les expressions, c'est que la bévue du chanteur n'y était que trop apparente. Nous indiquons d'ailleurs ces corrections par des crochets []. Le texte dans les clichés des mélodies sont, au contraire, transcrits fidèlement et sans altération. Dans le cas de plusieurs leçons d'une seule chanson, nous avons adopté une méthode critique qui se rapproche plus de celle de Doncieux que de celle de Rossat.1 Au lieu de répéter séparément et au long plusieurs dictées presque équivalentes, nous en formons un texte unique, prenant dans chacune ce que nous préférons et indiquant en renvoi toutes les divergences, même les plus triviales; de cette manière rien n'est perdu, et il serait facile, à qui le voudrait, de reconstituer les éléments distincts. Nous présentons séparément les variantes incompatibles et toutes les mélodies. Bien que la transcription intégrale des textes obtenus en plusieurs leçons puisse être préférable en soi, elle a l'inconvénient d'ahurir le lecteur même le plus patient et d'empiéter sur un espace restreint qu'il vaut mieux consacrer à des pièces inédites.

DESCRIPTION DES CHANSONS.

Si l'on ne chante plus guère aujourd'hui, il n'en était pas ainsi autrefois, alors qu'il n'y avait pas de journaux, pas de spectacles et presque pas de livres en circulation. La chanson marquait les phases de la vie, depuis le berceau jusqu'à la sépulture. Un peu tout le monde chantait. Mais, de nos jours, la musique n'est plus guère un art populaire. Elle se perd en se particularisant, tandis que, sous le joug industriel moderne, la vie est devenue silencieuse. Le souffle cosmopolite qui suffoque les isolés et les petits aura bientôt, au Canada comme ailleurs, éteint les derniers foyers de la chanson populaire.

Dans le répertoire canadien on reconnaît à peu près les mêmes catégories de chants que dans ceux de la France et des autres parties de l'Europe continentale. Le nombre des pièces de toutes sortes y est encore incalculable. Bien que ce champ immense soit encore inexploré, nous avons déjà sauvé de l'oubli près de quinze cents pièces inédites; et d'autres auteurs ont publié environ deux cents textes chantés au Canada.2

1 Doncieux, Le Romancero populaire de la France (1904); A. Rossat, Les Chansons populaires recueillies dans la Suisse romande, Tome I (Publications de la Soc. suisse des traditions populaires), 1917.

"Les chansons populaires et historiques du Canada," par F.-A.-H. Larue (dans Le Foyer canadien, 1 (1863] : 320–384), contenant le texte d'à peu près sept chansons; Chansons populaires du Canada, par Ernest Gagnon (1865), une collection de cent mélodies d'un plus petit nombre de pièces distinctes; Chansons canadiennes, par P.-E. Prévost (Saint-Jérôme, Terrebonne), soixante chansons, 1907.

Il faut établir une distinction entre les pièces qui vinrent de France et celles relativement peu nombreuses qui furent composées au Canada. Des quarante-six chansons de notre première série, il n'y a guère que les sept dernières (40-46) qui soient certainement du terroir canadien. Tandis que la plupart des chants venus de France prirent naissance à une époque ou les jongleurs (chanteurs ou compositeurs populaires) possédaient encore une éducation artistique particulière, les compositions canadiennes, elles, sortirent surtout de la classe des illettrés, ce qui explique sans doute la différence assez sensible que l'on remarque dans leur valeur littéraire.

Les chansons françaises de notre première série appartiennent aux genres suivants: ballades didactiques et romantiques (1-8), dialogues chantés dont le genre se rapproche de celui des mystères ou des vaudevilles (9-11), chansons lyriques inspirées par l'amour (12-16), pastorales (17-18), scènes domestiques (19-27), chansons bachiques et chansons de table (28-32), danse (33), ronde (34), randonnées (35-37), et chansons de merveilles ou de mensonges (38-39).

Les chansons canadiennes comprennent: deux chansons de canotier et de marin (40-41), deux chansons de chantiers et de flotteurs (42-43), une chanson satirique (44), et deux chansonnettes politiques (45-46).

L'origine précise de ces chants se perd dans l'obscurité. Comme pour les autres traditions populaires, l'auteur en reste inconnu. Tandis que le thème de certaines pièces est souvent fort ancien, la forme est d'âge plus récent, Plusieurs de ces pièces, comme "Damon et Henriette," "Carême et Mardi-Gras," "L'amour nous mène," et plusieurs autres, doivent être de source littéraire du genre savant. Celle de "Cartouche et Mandrin" est moderne, puisque ces deux brigands fameux subirent le châtiment de leurs crimes en 1721 et 1755 respectivement. Nous l'avons incluse afin de rappeler que les chansons populaires ne sont pas toutes arrivées au Canada avec les immigrants qui fondèrent la colonie. Les compilateurs-historiens à la manière de Doncieux feront bien, toutefois, de se souvenir que la plus grande partie des traditions orales françaises au Canada dut s'y transporter de 1608 à 1673, après quoi l'émigration cessa à peu près complètement par édit du roi. M. Benjamin Sulte, historien canadien, nous dit que, vers 1680, la population du Canada était de 9710 habitants. De 1680 à 1760 il ne serait venu s'ajouter qu'à peu près mille immigrants, dont la plupart étaient des gens de ville et des soldats qui, dans bien des cas, épousèrent des Canadiennes. La considération 1 C'est là une question que nous nous proposons d'étudier bientôt.

Texte manuscrit de M. Sulte: "A cette date (1680), nous avions reçu à peu près trois mille (c'est au plus) personnes de France, et le récensement donne 1568 ménages, et 9.710 âmes. La période de fondation se ferme ici. L'empreinte est faite. Ce que nous étions alors nous le sommes aujourd'hui. . . De 1680 à 1760, il n'est venu que mille personnes qui ont été à mesure absorbées dans la masse"

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de ces dates, de la diffusion et de la ramification de certaines chans françaises au Canada conduit à la conclusion que ces pièces, de bo heure au dix-septième siècle, couraient les provinces de France d vinrent les colons canadiens. Ce qui plus est: certaines d'entre e avaient déjà des variantes qui, depuis, ont été notées indépenda ment en France et en Canada. En tenant compte de ces nouvel données, il y aura peut-être lieu de reviser certaines hypothèses Doncieux sur le temps où furent composées certaines chansons computation de cet auteur étant trop conservatrice, au moins da certains cas.

Après lecture du passage qui précède, M. Massicotte nous a co muniqué les remarques suivantes, que nous reproduisons à cause leur importance:

"En admettant que le gros de l'immigration française au Canad soit venu avant 1673, peut-on ne pas faire état, au point de vue du fol lore, des colons qui arrivèrent subséquemment et dont la liste e plus longue qu'on ne l'imagine? Peut-on ne pas songer aux França qui demeurèrent ici pour remplir des fonctions civiles, ou pour fair la traite des pelleteries? Peut-on, surtout, oublier les soldats qui e bon nombre séjournèrent en Canada presque sans interruption, à parti de 1665 (date de l'arrivée du régiment de Carignan) jusqu'au lende main de la conquête (1760)?

"Très souvent, durant les périodes d'accalmie, les soldats furen logés chez les habitants, et ils se trouvèrent mêlés à leur vie. Or le soldats, comme les bûcherons, sont d'excellents agents de dissémina tion folklorique. Lorsqu'un groupe militaire s'est maintenu en exis tence pendant un certain temps, les mieux doués des soldats ont ac quis les connaissances et les chansons des autres. C'est ce qui se passe de nos jours, dans les chantiers. Après un hivernement, chaque bûcheron qui a voulu s'en donner la peine sait les chansons de ses compagnons. Joseph Rousselle, le chanteur que j'ai consulté, est une preuve de la vérité de cette assertion.

"Les soldats comme les voyageurs, jeunes pour la plupart, avaient du goût pour la chanson, la danse et les divertissements. Pendant qu'ils logeaient chez les particuliers, ils ne pouvaient manquer d'assister aux "fricots," aux noces, enfin à toutes ces réunions qui attirent les gens qui veulent s'amuser. Et les soldats chantaient. Plusieurs apportaient du nouveau, parce qu'ils avaient pu puiser dans leurs souvenirs de famille et dans des régions diverses. Une fois chantées, ces chansons prenaient racine dans notre milieu, car bien des chansons s'apprennent en une ou deux auditions.

"Et voilà comment, je crois, l'on peut expliquer la présence ici de chansons du XVIIIe siècle, lesquelles étaient parfois particulières à certaines régions de France qui ne semblent pas nous avoir fourni de colons.

"D'autre part, on sait que plusieurs soldats épousèrent des Canadiennes et restèrent au pays. J'ouvre au hasard le Dictionnaire généalogique de Mgr Tanguay (Vol. II, pp. 94 à 99), et je relèvè sept mariages d'Européens à des Canadiennes. Ces sept mariages se firent entre les années 1738 et 1757. Un des mariés était marchand; trois autres appartenaient à l'armée. Par ailleurs, Tanguay n'a pas noté tous les mariages de Français qui eurent lieu au XVIIIe siècle, du moins quant à la région de Montréal. Il existe des registres de paroisse, ceux de la Pointe-Claire, de la Pointe-aux-Trembles, par exemple, qu'il n'a pas tous vus. Pour confirmer cette opinion au sujet de la dissémination tardive du folklore français au Canada, je cite un cas certain, au moins. J.-B.-A. Tison, un de mes chanteurs, descend d'un colon français qui se maria à Montréal en 1760, un mois après la capitulation de Montréal. Tison a bien connu son grand-père, lequel avait, à son tour, connu son grand-père, le colon français, perruquier; et ce colon était, on le sait, un vive-la-joie et un chanteur au répertoire varié. Il venait du Hainaut, en Belgique, et il avait vécu en France. Son cas n'est d'ailleurs pas unique. Plus tard, en 1812, passèrent en Canada les régiments de Meurons et de Watteville, composés de soldats originaires de la Suisse, de la Pologne, de la Flandre et de la France. Ces régiments furent licenciés ici après un séjour d'une couple d'années, et plusieurs de leurs membres épousèrent des Canadiennes et firent souche. Eux aussi ont pu nous apporter des chansons, des contes, des traditions d'outre-mer. Il me paraît même que c'est à eux que nous devons notre jeu de dames canadien,1 ainsi que je l'ai déjà écrit." 2

LA PROSODIE DES CHANSONS.

Les règles de versification observées dans la composition des chansons que nous présentons ici ne sont pas celles des écoles modernes. Avant que Doncieux ait redécouvert et énoncé les règles complexes et stables de l'ancienne prosodie populaire, on prétendait que le caprice

1 A ces renseignements donnés par M. Massicotte, nous pourrions ajouter quelques faits venus à notre connaissance pendant des enquêtes folkloriques. Une de nos conteuses aux Éboulements (Charlevoix), Mme Gédéon Bouchard, âgée de 76 ans et née à SaintFabien (Rimouski), nous dit que trois familles allemandes, surnommées "les Allemands," vivaient à Saint-Fabien. Le nom de famille de l'une était Berger. Ces Allemands étaient tout-à-fait canadianisés, parlant français et mariés à des Canadiennes. Ils étaient probablement nés au Canada de parents allemands, lesquels étaient peut-être des soldats licenciés du régiment Hesse-Darmstadt (1779). — Notre vieux chanteur, Edouard Hovington, de Tadoussac, âgé de 90 ans en 1916, avait appris des chansons populaires françaises, qu'il nous indiqua, de deux charpentiers français, nommés Bourget et Maufond, à l'emploi de la Compagnie de la Baie-d'Hudson, et venus au Canada vers 1830, à l'âge d'une trentaine d'années. La famille de la Salle la Terrière, fixée aux Eboulements depuis la fin du XVIIIe siècle, fut fondée par un jeune Français qui se maria au Canada un peu avant 1770. — C.-M. B.

2 "Histoire du jeu de dames canadien" (Almanach du peuple, pour 1918 [Montréal)).

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