Obrázky stránek
PDF
ePub

CONTES POPULAIRES CANADIENS (troisième série).

(a) CONTES DE LA BEAUCE.

PAR EVELYN BOLDUC.

79.1 LA FÉE DE LA MER VERTE.2

Il est bon de vous dire qu'il y avait, une fois, un vieillard bien pauvre. Il avait une femme et quatre enfants, et pas de moyens.

Une bonne nuit, le feu prend et brûle toute la maison. Le vieillard de se lamenter: "Qu'allons-nous faire à présent, bonne-femme? Il ne nous reste rien; qu'allons-nous faire?" Les voilà qui partent tous ensemble; ils marchent, marchent, marchent.

Au bout du chemin, qu'est-ce qu'ils voient? Une petite maison. Cognent à la porte: pan, pan! Pas de réponse. Ils entrent et ne trouvent personne en dedans. "Ah bien! ma femme, nous allons toujours coucher ici." Le lendemain matin, ils se lèvent, cherchent partout le maître de la maison; pas un chat! "Ecoute un peu, ma femme, nous allons rester ici jusqu'à ce que le propriétaire revienne. Mais faisons bien attention de ne rien briser." Comme de fait, ils restent là tous ensemble et ils cultivent la terre, bien heureux, bien contents, pendant trois ans.

Un beau matin, qui est-ce qui arrive? Le fils du roi. "Bonjour, monsieur!" "Bonjour, monsieur!" - Voulez-vous bien me dire qu'est-ce que vous faites sur ma propriétaire?" "Ah! mon bon monsieur, ne me faites pas de trouble. Je suis un pauvre homme, ma maison a brûlé, et je suis venu me sauver ici."—"Savez-vous bien qui je suis? Je suis le fils du roi."-"Ah! monsieur le roi, vous êtes riche, ayez pitié du pauvre monde!"

Parmi ses quatre enfants, le vieillard avait une belle petite fille de douze ans, fine comme une mouche. En la voyant, le fils du roi dit: "Si vous voulez me donner votre petite fille pour que je l'amène avec moi, je la ferai bien élever et instruire, et je vous donnerai ma terre et ma maison." Quand on est pauvre, que peut-on faire! "Pauvre enfant, que fait le père, tu seras bien plus riche et heureuse avec le

1 Les numéros de la troisième série font suite à ceux des séries publiées les années dernières, dans The Journal of American Folk-Lore.

? Ce conte et le suivant viennent de Joseph Bolduc ("Barras"), de Saint-Victor, Beauce, qui les apprit, dans son enfance, de vieillards du voisinage. Comme ils ne furent pas recueillis sous dictée, la transcription en est assez libre.

Pour "propriété, bien."

fils du roi qu'avec nous; va donc!" Le fils du roi met la belle petite fille dans son carrosse et il file.

Rendu à son château, il dit à sa servante: "Tiens, une petite fille que j'ai prise comme l'enfant de la maison. Aies-en bien soin!" Il va ensuite à l'école et il recommande à la maîtresse de bien instruire la petite fille. La voilà qui va à l'école, apprend ses leçons. Il faut vous dire qu'elle était heureuse!

Au bout d'une couple d'années, elle était grandette et belle, mais belle! Un beau matin, le fils du roi lui dit: "Viens ici un peu, dans ma chambre; je veux te parler. Je t'ai amenée de chez tes parents, qui étaient bien pauvres; j'ai eu soin de toi; je t'ai fait instruire. Aujourd'hui, je veux t'épouser. Qu'en dis-tu?"-"Ah! monsieur le roi, vous voulez rire de moi. Un fils de roi, c'est pas pour une fille comme moi."-"Je t'aime, je veux t'avoir pour ma femme. Si tu veux, nous allons nous marier aujourd'hui." "Je suis bien la fille la plus chanceuse du monde! Il ne pourrait jamais rien m'arriver de mieux." Et ils se marient le même jour; font une petite noce, mais bien tranquillement.

[ocr errors]

Au bout de cinq ou six mois, le fils du roi en se levant dit à sa femme: "Ma femme, aujourd'hui, nous allons voir tes parents." - "Ah! mon mari, c'est-il possible que vous vouliez aller voir de si pauvres gens?" "Oui, tu ne les as pas vus depuis trois ans. Je vais faire atteler mes quatre chevaux à mon carrosse et nous allons partir tantôt."

Comme ils passent dans une petite coulée, ils voient à terre une belle serviette. "Mon mari, laissez-moi ramasser cette serviette." - "Mais, ma femme, des serviettes, nous en avons en quantité chez

"-"Laissez-moi la ramasser pour l'emporter en présent à mes parents qui sont si pauvres." Le mari se baisse pour ramasser la serviette. Qu'est-ce qu'il y avait dessous? Une vieille bonnefemme, qui lui saute à la gorge: "Epouse-moi ou je t'étrangle." -"Mais, bonne-femme, je ne puis pas, je suis déjà marié. Voyez ma femme assise dans ma voiture."-"Celle-là? Elle n'est bonne qu'à faire une servante. Epouse-moi ou je t'étrangle." La petite femme, qui entend tout cela, dit à son mari de céder, pour sauver sa vie. La fée - c'en était une dit: "Toi, la petite femme, assiedstoi sur le siège d'arrière." Inutile de vous dire qu'ils ne se rendirent pas voir les parents de la petite femme, pour leur montrer la vieille fée.

Revenus au château, la fée envoie la jeune femme faire le train tout comme une servante, tandis qu'elle-même se fait la reine et la maîtresse partout. Au bout de sept ou huit jours, un beau matin,

1 Dans le sens approximatif de: "Il va sans dire que ..."

1 Vallon.

la fée se lève en sacrant à tout casser: "Ça ne traînera plus comm ça; il faut que je me débarrasse de cette maudite servante! A ne heures demain matin, je veux qu'on me la pende." - "Mais, m femme . . .” — "Il n'y a pas de mais. Va me q'ri quatre bourreau pour lui arracher les deux yeux."

Les quatre bourreaux emmènent la jeune femme dans une forêt "Aimez-vous mieux mourir ou vous faire arracher les deux yeux?" - "Seigneur, grand Dieu! quel triste sort! J'aime encore mieux m faire arracher les deux yeux." Les bourreaux lui arrachent les deu yeux, et la laissent là, assise sur une souche.

Au bout de quelque temps, elle se dit: "J'aime autant mourir en marchant; je trouverai peut-être quelqu'un dans le bois." Et elle se met à marcher, les deux mains devant le visage; marche, marche. Tout à coup, elle entend 'bûcher.' Marchant un peu plus vite, elle crie: "Y a-t-il du monde ici?" L'homme qui 'bûchait' répond: "Oui, il y a un homme."—"Mon bon monsieur, pour l'amour du bon Dieu, amenez-moi chez vous." En voyant cette pauvre femme, la face toute couverte de sang, l'homme se met à pleurer: "Mais, pauvre dame, je ne puis pas vous amener avec moi; ma femme est plus mauvaise que le diable." - "Amenez-moi pareil; je mourrais de faim, dans les bois." L'homme attelle, met un peu de bois dans le fond de sa charrette, assied la femme au milieu et lui donne les haridelles pour se tenir.

Quand il arrive à la maison, sa femme sort à la porte: "Mais qu'estce que c'est, ça?"—"Ma femme, c'est une pauvre malheureuse que j'ai trouvée dans le bois." La maîtresse de maison, en voyant le pauvre visage couvert de sang, dit à la malheureuse: "Pauvre enfant, entrez dans la maison; nous allons vous soigner." Elle lui aide à descendre, lui donne la main, pour la conduire. Après l'avoir fait asseoir dans sa plus belle chaise, elle baigne ses plaies et lui donne à manger. Au bout de quelques semaines, la pauvre malheureuse 'achète' un beau petit garçon.

On l'élève 'au mieux,' en l'envoyant à l'école jusque vers l'âge de sept ans. Les autres enfants lui disaient: "Où est ton père? Où est ta mère? Si tu ne les connais pas, c'est donc que tu es 'un trouvé.'” Le petit garçon s'en va à sa mère en pleurant: "Maman, est-ce que j'ai un père et une mère comme les autres?"—"Oui, mon fils." - "Où est mon père?" - "Cela, je ne puis pas te le dire." - “Où est ma mère?" "C'est moi, mon enfant." Voilà le petit garçon bien content de pouvoir répondre aux autres. Mais les gens qui l'élevaient et qui avaient si bien soin de sa mère étaient pauvres, et il était mal habillé. Les enfants de l'école criaient: "Guenillou, guenillou!" En colère, le petit garçon retourne trouver sa mère:

Ce mot, au Canada, signifie particulièrement "abattre des arbres."

"Maman, je ne vais plus à l'école."-"Mais, pauvre enfant, que vas-tu faire?” — “Je vais chercher mon père."-"Tu ne le trouveras jamais; il est remarié à un vieille fée qui m'a fait crever les deux yeux et qui t'empêchera de le rejoindre."-"Maman, je vais aller trouver mon père et vous venger de la vieille fée." - "Bonne chance, mon pauvre enfant!"

Le lendemain matin, après que sa mère lui ait donné deux petites galettes, l'enfant part; marche, marche. Rendu à la brunante, il voit un vieillard qui 'bûche' à la porte de sa cabane. "Bonjour, grand-père!"—"Bonjour, mon enfant! Où t'en vas-tu donc?" — “Ah! grand-père, j'ai un long voyage devant moi: je cherche mon père." "Comment s'appelle-t-il?" "Je ne sais pas; il est marié à une vieille fée qui a fait arracher les deux yeux de ma pauvre mère." -"Je sais de qui tu veux parler. Laisse-moi faire; tu m'as l'air d'un bon enfant; je vais t'aider." Il donne à souper au petit garçon, le fait coucher, lui donne à déjeuner. "Maintenant, voici deux petites galettes que tu mangeras en pensant à moi. Prends le chemin que tu vois devant toi, marche tout droit jusqu'à ce que tu arrives à une grande ville, où tu verras un beau château jaune; c'est là que 'reste' ton père: Tu frapperas à la porte; ton père ouvrira sans te reconnaître. Demande-lui de te prendre comme l'enfant de la maison. S'il ne veut pas, tourmente un peu, et tu verras. Bonne chance, mon garçon!"

Part, marche, marche. Rendu à la fourche des quatre chemins, il s'arrête et mange une petite galette, ensuite reprend son chemin. En arrivant à la ville, il tourne à gauche et voit un beau château tout laune, reluisant au soleil. "Bon! c'est là." Pan, pan! "Qui est jà?"—"Monsieur le roi, c'est moi, un pauvre enfant; voulez-vous me prendre comme l'enfant de la maison?"-"J'ai déjà un domestique, c'est assez; va-t-en!"—"Cher bon monsieur le roi . . ."-"Voyons, que dit la fée sa femme, toi qui es roi, fais donc un bon coup, une fois." "C'est bon, entre!" Le petit garçon est bien content: ça commence bien!

Pendant cinq ou six mois, tout marche (comme) sur des roulettes. Un beau matin, voilà la fée en colère, qui sacre, jure, et casse tout dans la maison. "Je veux me débarasser de ce petit garçon-là. Demain matin, à neuf heures, je veux qu'il soit pendu, s'il ne m'a pas ramené le cheval à barbe grise." Voilà notre ami bien en peine, lui qui n'a jamais entendu parler du cheval à barbe grise. Il part et retourne trouver le vieillard, qui 'bûchait' toujours à la porte de sa cabane. "Bonjour, grand-père!"-"Bonjour, mon garçon! Comment t'arranges-tu?"—"Bien tristement; la reine veut me faire pendre demain matin à neuf heures si je ne lui ramène pas le cheval à barbe grise."—"Ne prends pas de peine, je vais t'aider. Viens manger et dormir."

[ocr errors]

Le lendemain matin, au petit jour, le vieillard donne au garçon deux petites galettes: "Prends le premier tournant devant toi. Quand tu auras faim, mange une petite galette en pensant à moi. Marche jusqu'au champ tout clos en fer. Là, tu verras vingt-cinq lions de garde, les animaux les plus féroces de la terre; l'étable qui renferme le cheval à barbe grise est de l'autre côté. En mettant le pied dans le champ, pense à moi, et aie bien soin de ne pas faire de bruit. En entrant dans l'étable, tu verras un mors de bride en argent; ne le prends pas. Il y en a, ensuite, un en cuivre; ne le prends pas, ça rendrait le cheval trop gaillard. Mais tu prendras le troisième, qui est en bel acier; tu le mettras dans la gueule du cheval que tu selleras; et tout ira bien."

Le petit garçon suit les directions à la lettre. En mettant le pied dans le champ, il pense au vieillard, et tous les lions s'endorment. Sur la pointe des pieds il passe jusqu'à l'écurie, trouve les trois mors de bride, prend le mors en acier, selle le cheval à barbe grise, et saute dessus. Le cheval piaffe, et voilà les vingt-cinq lions réveillés. Mais mon garçon donne un coup de chapeau à son cheval, qui saute pardessus la clôture. Les voilà qui filent comme le vent.

A huit heures et demie, ils étaient rendus à la porte du château jaune. "Madame la reine, venez remiser votre cheval à barbe grise." - "C'est-il possible que tu aies pu le voler aux vingt-cinq lions de garde? Tu as bien du talent, mon petit gars."

Pendant quinze jours, la reine est douce comme un agneau. Au bout de ce temps, un beau matin, elle se lève dans une colère effrayante; elle casse tout dans la maison. "Mais qu'est-ce que tu as encore?" — "Il y a que je veux faire pendre ce guenillou, demain matin à neuf heures, s'il ne me ramène pas le château de cristal, qui est au-dessus de la mer verte, pendu par trois chaînes d'or." Voilà le petit garçon bien en peine. Il va retrouver le vieillard qui lui a déjà tant aidé.

En arrivant, il le trouve encore à la porte de sa cabane, qui 'bûchait.' "Bonjour, grand-père!" - "Bonjour, mon enfant! Qu'est-ce qu'il y a encore?" "Ah! grand-père, me voilà bien mal pris; la fée veut me faire pendre demain matin, à neuf heures, si je ne lui rapporte pas le château de cristal pendu au-dessus de la mer verte par trois chaînes d'or." "Ne prends pas de peine, mon garçon; je vais t'arranger ça. Viens manger et dormir."

Le lendemain matin, au petit jour, le vieillard donne au garçon deux petites galettes: "Prends le chemin qui est devant toi et marche tout droit jusqu'à ce que tu trouves la mer verte. Là, en face, tu verras le château de cristal pendu deux arpents au-dessus de la mer verte par trois chaînes d'or. Dans ce château, il y a trois filles à marier qui sont des fées. Elles font croire aux garçons qu'elles vont

« PředchozíPokračovat »