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mis de fi bon juges dans les Tribunaux dont vous relevez, que ni Guadalajara ni Madrid n'en fourniroient pas de meilleurs. Ce prêtre lui repliqua: Le village de Tordelaguna a pû fournir un grand Prelat à ce Roiiaume, et ces villes ne peuvent fournir un juge pour une auffi petite caufe que la mienne? Ximenés foupçonnant que cet homme étoit protegé par quelque Seigneur, lui demandoit qui étoit fon Patron? A quoi il repondit. Qu'il étoit fon Patron lui-même, et qu'il n'en vouloit point d'autre. Le Cardinal lui repliqua: Vraiment vous n'en fçauriez trouver un qui foit plus digne de vous. Et le contentant de lui avoir dit cette parole, il lui donna un Commissaire, ainsi qu'il le souhaitoit.

Sa douceur fut grande envers un de ses Domesti ques nommé Baracolde, Secretaire du Confeil des Ordres Militaires. Quoi qu'il eût fait des Actions indignes contre fon Maître et qu'il fut foupçonné d'ètre complice du poifon qu'on lui avoit donné; il retint dans fa maifon, et lui accorda mème diverfes graces. Il n'eut pas la mème complaifance pour Bernardin fon frere parce qu étant plus uni avec lui, par les liens de la religion et de la nature, il étoit auffi plus coupable, et qu' ayant été plufieurs fois chàtié pour les mèmes fautes, il lui parut incorrigible. Il lui pardonna, il lui fit une pension raisonnable, mais ni ses amis, ni les Rois mêmes purent jamais gagner fur lui qu'il le reçut de nouveau dans fa maison, parce qu'il y avoit troublé l'ordre et la paix, et qu'il avoit voulu en éloigner la justice.

Dans tous les états de fa vie, il fit paroître en même coeur plein de générofité et de conftance. Quelquesuns ont cru qu'à la fin de fes jours il fut capable d'une foiblesse, et qu'ayant reçu la lettre du Roi qui lui donnoit congé de se retirer des affaires, il en étoit mort de chagrin. Il ne feroit pas étonnant que l'âge et la maladie euffent affoibli fon courage:mais la plupart des Au

teurs

teurs affurent que cette lettre ne lui fut pas rendue, qu'elle fut portée au Confeil toute cachetée, parce qu'elle contenoit d'autres affaires que le Cardinal dans l'extremité où il fe trouvoit, n'étoit pas en état de deci der. Quoi-qu'il en foit, il avoit follicité le Roi de ve nir gouverner ses états lui-même; il fçavoit bien que les Flamans n'approuveroient pas les Confeils: et l'on prétend qu'il avoit resolu après avoir baisé les mains et donné les avis néceffaires à ce jeune Prince, de fe retirer pour aller mourir tranquillement et faintement dans fon Diocese,

Il ne

De cette grandeur d'ame naissoit la moderation, la fimplicité et la temperance du Cardinal Ximenés. Sa table étoit frugale en tout temns, et l'on y évitoit également la fuperfluité et la delicatelle des viandes. Le trouvoit point aux feftins, et ne mangeoit presque jamais hors de chez lui. Dans quelques occafions il donnoit des répas magnifiques; mais on lui fervoit fa portion ordinaire, joignant, fuivant le confeil de l'Apôtre, l'abstinence avec la science, traitant les conviez selon leur dignité, et se refferrant dans les bornes de la neceffité pour la perfonne. Ainfi il obfervoit les regles de la bienfeance pour les autres, fans fe departir des Loix de mortifications qu'il s'étoit préscrites.

Ses entretiens étoient toûjours ferieux, edifians, utiles, dans le tems même de ses repas: Il avoit banni de fa maison les Mufiques, les Converfations vaines et profanes, les jeux et toute forte de divertissements et de recreations inutiles ou peu feantes. Toutes les heures étoient remplies des occupations précises et importantes, qui fe fuccedant les unes aux autres, ne laissoient aucun vuide dans la journée. Quand les affaires étoient ou plus preffantes ou en plus grand nombre, il achevoit les depêches pendant son souper. Le Docteur Jean Vergara, qui avoit été long-tems auprès de lui,

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en parle en ces termes. Il ne prenoit d'autre divertiffe ment que celui de la promenade, encore étoit-ce rarement. Tout fon temps étoit employé à prier, à étudier, à traiter d'affaires. Ses jours étoient rempli, chaque chofe avoit fon heure destinée, en forte qu'une occupation ne troubloit pas l'autre. Il fe relevoit quelquefois la nuit pour expedier les affaires. Quand on le rafoit, il fe faifoit lire l'Ecriture fainte; et durant les repas il entendoit des raifonnemens de quelques Theologiens habiles, qu'il entretenoit dans fa maison et avec lesquels, dans le tems de la Regence, il avoit ordinairement fur le foir une Conference de deux heures.

Non-feulement il évitoit les inutilitez et les amufemens, mais encore il les condamnoit dans les personnes de Lettres. Lorsqu' on ouvrit les études d'Alcale, le Docteur Pierre de Ledesma, grand Abbé de cette Univerfité, compofa une Comedie qu'il voulut faire reprefenter par les Ecoliers: on dressa un theatre magnifique: on convoqua toutes les perfonnes de qualité du Diocefe, et l'on pria avec grandes instances l'Archevêque de vouloir affister à cette Action ; il s'en excufa long-tems, mais fes amis lui remontrerent si souvent que c'étoit la premiere Fète de fes Colleges; que fa préfence feroit honneur aux Profeffeurs, et donneroit de l'émulation à la jeunelle, qu' enfin il fe determina, et fe rendit à la Sale de l'Assemblée avec une foule de Docteurs qui l'accompagnoient. S'étant affis à la place, il voulut fçavoir quel étoit le sujet de la Piece qu'on alloit representer; on lui dit que c'étoit un fujet comique, qui lui feroit passer deux heures agreablement: il demanda qui en étoit l'Auteur, et comme on lui eut repondu que c'étoit le Docteur Ledesma, Grand Abbé de l'Univerfité: Les Theologiens, dit-il, s'occupent-ils à ces baga'telles? pour moi, je fens le poids de mes devoirs, et je * n'ai point de tems à perdre. Il fe leva en difant ces mots,

mots, et se retira chez lui un peu indigné. Il laissa toutefois à fes Colleges la liberté de donner au Public de tems en tems de pareils fpectacles.

L'efprit toûjours rempli d'affaires, il redifoit fouvent ces paroles de Ciceron: Nous ne sommes pas faits pour les jeux et pour les plaifirs; mais pour des occupatións graves et pour des études ferieufes. Il s'égayoit quelquefois avec fes Domestiques les plus discrets et les plus ingenus, mais fi rarement et si prudemment, qu' on pouvoit de la complaifance plûtôt que de la gaieté. Un de fes divertissemens étoit de jetter fur quelque matiere Theologique un ancien Profeffeur qu'il entretenoit dans fa maison, en qui une grande mémoire avoit affoibli le jugement, et qui s'embarassoit dans des raifonnemens coupez et des citations confuses. La liberté naïve et militaire d'un Officier qui l'avoit autrefois fuivi dans fon Expedition d'Oran, ne lui étoit pas moins agréable.

Sa vie d'ailleurs n'étoit melée d'autres plaifirs, que de ceux qui pouvoient tirer de la pureté de la Confcience, ou de l'étude des faintes Ecritures. Il vequit dans fon palais, comme dans fes Monafteres. Il fut fort devot à Saint François. Il ordonna dans fes Synodes qu'on en folennifàt la fête dans fon Diocese. Il affectionna fa Regle, reforma fon Ordre, étendit l'Observance, et l'autorifa dans toute l'Espagne. Comme il avoit pris à fon entrée en la Religion, le nom de François au lieu de celui des Gonçales, par la devotion qu'il eut pour fon Fondateur, il prit depuis pour armes fes plaies entourés de fon cordon. Dans les voyages il logeoît autant qu'il pouvoit dans les Couvents de fon Ordre, mangeant au Refectoire avec les Religieux, fans diftinction, obfervant toutes les Ceremonies et toutes les regularitez comme le moindre de tous les freres.

Pen

Pendant onze ans qu'il demeura dans l'Observance, fon abstinence et fon aufterité de vie le firent regarder comme un modele de penitence. Il paffoit plufieurs jours dans les Montagnes en meditation et en prieres jeûnant au pain et à l'eau. Jamais il n'ufa de provifions dans les voyages, et tout Provincial et Confeffeur de la Reine qu'il étoit, il faifoit fes vifites à pié, et ne vivoit que d'aumônes. Dans l'efpace de vingt et un an qu'il fût Archevêque, il obferva toujours exactement, nonfeulement les jeûnes d'Eglife, mais encore ceux de Religion et de Regle, même dans fon extrême vieilleЛle. Au bout de fon Appartement il y avoit une chambre fecrete où il alloit depofer les marques de la Grandeur, et s'anéantir aux pieds de Jefus Chrift crucifié. C'étoit dans cette efpece de cellule, qu'il renfermoit les instru mens de fa penitence.

Il dormoit toujours avec fon habit de Religieux, tantôt fur la terre, tantôt fur des planches mal polies, et il s'étoit reglé à quatre heures et demie de fommeil chaque nuit. Quelque foin qu'il prit de cacher fes austeritez, fes Domestiques s'en apperçurent, furtout dans le tems de les voyages, où il ne pouvoit prendre de fi exactes precautions. On rapporte qu' ayant un jour éveillé fort matin son Muletier qui dormoit deshabillé dans fa litiere, et le pressant de partir, cette homme lui repartit brusquement: Penfez-vous, Monseigneur, que nôtre lever soit auffi-tôt fait que le vôtre; vous n'avez qu'à vous secouer, et à ferrer un peu vôtre corde, et vous voilà pret à marcher: il nous faut un peu plus de tems.

Fontenelle.

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