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Organe du public, la censure inflexible,
Exerçant à loisir le pouvoir d'un bon mot,
Punira Lormian du malheur d'être un sot.
Un défaut naturel veut quelque tolérance:
Il sait ennuyer; soit : on sait bâiller en France.
Pour moi, je ne veux point, Don-Quichote nouveau,
De prétendus géans me remplir le cerveau,
Et, la lance en arrêt, cherchant les aventures,
Ou redresser les torts, ou venger les injures.
Mercier combat Newton, Voltaire et le bon sens;
Il sera ridicule; il le veut, j'y consens.
Qu'il nous vante Rétif2, son émule en folie;
Que, d'un fard imposteur enluminant Thalie,
En doucereux jargon surpassant ses rivaux,
Dumoustier dans ses vers commente Marivaux;
Que le cousin Beffroi reste au fond de la lune;
Que Dumolard nous glace à la même tribune
Où la raison sublime allumait son flambeau,
Où discutait Barnave, où tonnait Mirabeau;
Sur sa lyre de plomb que Souriguière chante
De Dumont converti l'humanité touchante;

1. Mercier (Louis), auteur du Tableau de Paris, de beaucoup de drames et d'autres ouvrages.

2. Rétif de la Bretonne (Nicolas Edme), le plus fécond et le plus infatigable des romanciers. Il composa de plus une foule d'écrits sur la philosophie, plus bizarres les uns que les autres. On ne connaît plus guère que de nom son Paysan, ses Contemporaines, ses Provinciales, etc.

Que le moine Gallais 1, burlesquement disert,
De Midas Bénesech fasse un nouveau Colbert:
A tous ces beaux esprits il est permis d'écrire,
Et j'attends qu'un décret me condamne à les lire.

Plus tolérant encor, je souffre qu'en tout lieu
Trissotin-Roederer2 se dise Montesquieu.
Poursuis, cher Trissotin: doctement ridicule,
Écrase le bon sens sous ta lourde férule;
Et, de la renommée épris à son insu,
Régente l'univers sans en être aperçu.

Un sot est toujours vain. En passant dans la rue, Vous nommez Démosthène; et Lémerer3 salue. L'auteur même du Sourd' n'est pas exempt d'orgueil. De Richer, de Ferlus, c'est le commun écueil;

Et Gallais, qui n'a point, mais qui donne la gloire, Croit que le sort du monde est dans son écritoire.

On condamne à l'oubli de petits charlatans
Mécontens du public, et d'eux-mêmes contens;
Mais c'est peu d'ennuyer: les sots veulent proscrire.

1. Gallais, l'un des anciens rédacteurs du Journal de Paris. 2. Ræderer, éditeur et rédacteur du Journal d'Économie politique, et l'un des propriétaires du Journal de Paris.

3. Lémerer, député à la Convention nationale.

4. Desforges (Nicolas), auteur de plusieurs autres comédies restées au répertoire et de quelques romans assez connus; mort en 1806.

A leur honte vénale on les a vus sourire.
Ils pouvaient, retranchés dans leur obscurité,
Échapper aux sifflets de la postérité :

Vaincus par l'ascendant d'une étoile ennemie,
Ils ont cherché l'éclat, l'argent et l'infamie.
Ah! ce n'est pas ainsi que les esprits bien faits.
Méditent à loisir de durables succès:

Ils ne franchissent point la limite sacrée,
Et par eux la décence est toujours honorée.
L'écrivain philosophe, au-dessus des clameurs,
Instruit par la morale et même par ses mœurs;
La balance à la main, le sévère critique
Voit couronner son front du laurier didactique;
Armé de la satire, un utile censeur,

Avoué par le goût, en est le défenseur.
Le crime est au-delà : tout libelliste avide,
Armé de l'imposture, est un lâche homicide.
Le plus vil a le prix dans un métier si bas.
Mentir est le talent de ceux qui n'en ont pas;
Nuire est la liberté qui convient aux esclaves.
Pour donner aux Français de nouvelles entraves,
De libelles fameux les auteurs inconnus

Ont sur ce noble droit fondé leurs revenus.

Comme eux, nos décemvirs, ces tyrans du génie,
Chérissaient, protégeaient, vantaient la calomnie;
Et du chêne civique ils couronnaient le front
Qu'à Rome on eût flétri d'un solennel affront.

Ah! si quelque insensé défendait leur système,
Regarde, lui dirais-je, et prononce toi-même:
Vois le crime, usurpant le nom de liberté,
Rouler dans nos remparts son char ensanglanté;
Vois des pertes sans deuil, des morts sans mausolées;
Les grâces, les vertus, d'un long crêpe voilées;
Près d'elles le génie éteignant son flambeau,
Et les beaux-arts pleurant sur un vaste tombeau.
Ces malheurs sont récens. Quel monstre les fit naître?
A sa trace fumante on peut le reconnaître:
La calomnie esclave, à la voix des tyrans,
De ses feux souterrains déchaîna les torrens,
Qui, du Var à la Meuse étendant leurs ravages,
Ont séché les lauriers croissans sur nos rivages.
Nos champs furent déserts, mais peuplés d'échafauds;
On vit les innocens jugés par les bourreaux:
La cruelle livrait aux fureurs populaires

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Du sage Lamoignon les vertus séculaires;
Elle égorgeait Thouret, Barnave, Chapellier
L'ingénieux Bailly, le savant Lavoisier,
Vergniaux, dont la tribune a gardé la mémoire,
Et Custine, qu'en vain protégeait la Victoire.

1. Thouret, Barnave, Chapellier, tous trois avocats distingués, furent tous trois élus députés par le tiers-état à l'Assemblée constituante, et tous trois condamnés à mort par le tribunal révolutionnaire. Le premier était de Rouen; le second, de Grenoble; le troisième, de Rennes.

Condorcet, plus heureux, libre dans sa prison,
Échappait au supplice en buvant le poison.
O tems d'ignominie, où, rois sans diadême,
Des brigands, parvenus à l'empire suprême,
Souillant la liberté d'éloges imposteurs,
Immolaient en son nom ses premiers fondateurs!

Allons, plats écoliers, maîtres dans l'art de nuire,
Divisant pour régner, isolant pour détruire,
Suivez encor d'Hébert les sanglantes leçons:
Sur les bancs du sénat placez les noirs soupçons;
Qu'au milieu des journaux la loi naisse flétrie;
Dans les pouvoirs du peuple insultez la patrie;
Qu'un débat scandaleux s'élève, à votre voix,
Entre le créateur et l'organe des lois.
Empoisonnez de fiel la coupe domestique;
Étouffez les accens de la franchise antique;
Courez dans tous les cœurs attiédir l'amitié;
Séchez dans tous les yeux les pleurs de la pitié;
Opposez aux vivans l'éloquence des tombes;
Prêchez l'humanité, mais parlez d'hécatombes ;`
Plus coupables encor, tels que de noirs corbeaux,
Osez des morts fameux déchirer les lambeaux;
Auprès de leurs rayons rassemblez vos ténèbres;

1. Hébert (Jacques René), auteur d'une feuille révolutionnaire, intitulée le Père Duchesne. On peut juger de l'homme par cet infâme journal.

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