PETITE ÉPITRE A JACQUES DELILLE. 1802. MARCHAND de vers, jadis poète, Et soyez aux gages des autres. Vous ne nous direz plus adieu : Mais, puisque vous protégez Dieu, N'outragez plus feu Robespierre. S'il eût donné des bénéfices. Virgile, en de riants vallons, Vous, l'abbé, c'est dans les salons N'importe le ciel vous fit naître : Trop bas pour aimer vos égaux, Trop vain pour vous passer de maître. Les rossignols en liberté Aiment à confier leur tête Aux rameaux du chêne indompté, Que ne peut courber la tempête; Pour déployer leur noble voix, 1. Il est à regretter que cette petite épître, où brille d'un bout à l'autre tant d'esprit et d'enjoûment, ne soit qu'une espèce de pamphlet dirigé contre un des premiers poètes du dix-huitième siècle. Mais, il faut en convenir, les manœuvres infâmes auxquelles Chénier fut si long-tems en butte de la part d'hommes obscurs et jaloux de sa gloire, qui, pour le rabaisser, exaltèrent souvent outre mesure ses rivaux, durent nécessairement aigrir son humeur, déja très-portée à la satire, et susciter chez lui le désir impatient de la vengeance. La colère est aveugle: sa plume, indignée, devint dans ses mains un instrument fatal, dont par malheur il ne s'est pas toujours servi avec discernement. Toutefois, la probité fut la plus chère idole de Chénier. Plus tard, quand l'expérience et l'étude vinrent affermir son âme, et mûrir son esprit, il ne songea plus qu'à rendre au vrai talent la justice qu'il méritait. Ainsi le traducteur des Géorgiques reçut le titre glorieux de Classique des mêmes mains qui naguère n'avaient pas craint de lui faire une blessure aussi profonde. (Note de l'éditeur.) ÉPITRE D'UN JOURNALISTE A L'EMPEREUR' 1805. SIRE! Sire! justice, ou bien c'est fait de nous: 1. Nous n'avons point de preuves suffisantes pour affirmer que cette épître soit de Chénier, bien qu'elle ait été trouvée parmi ses manuscrits. Dans la copie imprimée qui nous est parvenue, cette pièce ne porte ni signature, ni date; on y trouve seulement l'indication de l'imprimerie de la rue de la Harpe, no 93. Cependant plusieurs personnes, très au courant des œuvres de notre auteur, ayant reconnu sa verve et son style satiriques dans certains passages de cette épître, se sont efforcées de lever nos doutes à ce sujet. C'est sur leur demande que nous avons hasardé de l'imprimer ici : toutefois, nous n'osons pas en garantir l'authenticité. (Note de l'éditeur.) De tous mes abonnés on ébranle la foi; pour moi! J'ai pour beaucoup d'argent promis beaucoup d'injures, Beaucoup de déraison et beaucoup d'impostures; N'ai-je donc pas tenu ces saints engagemens? Ah! je les ai remplis par-delà mes sermens. Jusqu'à l'absurdité poussant la calomnie, Je n'ai rien épargné, ni. vertu, ni génie; Du fiel le plus amer j'ai souillé tout succès; J'ai fait même à Fiévée envier mes excès: Avec plus de fureur j'aboie au philosophe. Mais mon pouvoir, hélas! se borne à l'apostrophe. Et de l'éclat du jour venger l'obscurité. Le mensonge et l'erreur m'ont prêté leur puissance; Que suivront l'incendie et la destruction! |