PORCIA. Tu n'auras rien que ce que porte l'obligation, Juif; tu peux le prendre à tes risques et périls. >> Shylock est décidé à tout abandonner, intérêt et principal, quand Porcia l'arrête, et lui explique qu'il n'est pas quitte avec la justice, qu'une loi de Venise condamne à mort quiconque aura directement ou indirectement attenté à la vie d'un citoyen, et qu'ainsi le duc seul peut lui faire grâce de la vie; que du reste ses biens sont confisqués en vertu de la même loi, une moitié au profit de l'état, et l'autre au profit de celui contre qui a été tramée l'entreprise. A ce coup, Shylock se livre au désespoir. Mais le duc lui fait grâce de la vie, et on lui rend ses biens à condition qu'il les laissera par testament à sa fille et à celui qu'elle a épousé, et que lui-même se fera chrétien. Ici la pièce était naturellement finie; voici comment Shakspeare l'a prolongée au-delà du dénouement et de toute espèce d'intérêt. Porcia a donné à son mari une bague qu'elle lui a fait promettre de ne jamais quitter. L'avocat demande cette bague, comme la seule récompense qu'il veuille accepter entre tous les témoignages de reconnaissance qu'on lui offre. Bassanio hésite, ne pouvant se ré soudre à se séparer du cadeau de sa femme; l'avocat feint d'être piqué et se retire. A la prière d'Antonio, Bassanio cède et envoie la bague par Gratiano. Gratiano remet la bague à Porcia. De son côté, Nérissa complote de se faire donner une bague qu'elle a fait jurer à son mari de garder toujours pour l'amour d'elle, et elle exécute son dessein hors de la scène. Cet acte, qui n'a qu'une scène, n'a pas assez d'action pour la remplir. Il s'ouvre par un entretien de Lorenzo et de Jessica, qui admirent la beauté de la nuit, et dissertent ensuite sur le charme de la musique, après avoir commandé un concert. Porcia et Nérissa arrivent dans leurs habits de femmes; elles sont suivies de près par leurs maris, auxquels elles font une querelle sur la violation de leur serment. Après beaucoup de plaisanteries de mauvais ton, Porcia explique son déguisement, et Nérissa remet à Lorenzo et à Jessica l'acte qui les rend héritiers de toute la fortune du Juif. Antonio assiste à cette scène, comme pour en mieux faire sentir le vide et la nullité. Shakspeare a puisé son sujet à plusieurs sources. On attribue à Sixte v un jugement pareil à celui de Porcia. On retrouve la même anecdote dans un recueil de Nouvelles françaises, dans celui de Ser Giovanni, et enfin dans un très ancien ouvrage, écrit en latin, et intitulé Faits des Romains. L'aventure des trois coffres se trouve aussi dans le dernier ouvrage. Le Marchand de Venise a été représenté avant 1598. Ce sujet avait été déjà mis plusieurs fois sur le théâtre. En 1701, M. Granville, depuis lord Landsdowne, remit au théâtre l'ouvrage de Shakspeare, avec des changements considérables, sous le titre du Juif de Venise; on l'a joué long-temps sous cette nouvelle forme. NOTES. (A) M. Casimir Delavigne a imité cette tirade, ou plutôt s'en est approprié les beautés en les épurant, dans sa tragédie du Paria. Le sein de l'Éternel est aussi notre asile. Va, ces mortels si fiers, qui nous ont rejetés, 1 Nos sens formés par lui, nos traits, tout est semblable. Les fruits se sèchent-ils sur nos lèvres avides? Les flots dont notre soif implore les secours, Pour tromper ses ardeurs, détournent-ils leur cours? Les mêmes passions nous brûlent de leurs feux. Ils souffrent comme nous et nous aimons comme eux. .... Paria, act. II, sc. 5. (B) Ceux qui ont vu miss Smithson dans Porcia se rappellent avec quelle énergie elle lançait ce mot décisif blood, qui produit à lui seul une peripétie, et dont l'effet est si théâtral; on assure que, dans la même scène, l'acteur Kean joue le rôle de Shylock avec une effrayante vérité. 1 (MEASURE FOR Measure. ) Cette pièce, une des plus belles de Shakspeare, a le grand mérite de n'offrir d'autre exposition que le développement de l'action même. Le duc de Vienne (c'est dans cette ville que l'action se passe ) annonce à Escalus et à Angelo, deux de ses ministres, que, forcé par des affaires pressantes de quitter ses états, il leur confie le gouvernement, en subordonnant toutefois l'autorité d'Escalus à celle d'Angelo, qui jouit d'une haute réputation de sagesse, de vertu et de science. Il part, après leur avoir tracé quelques règles générales de conduite, où respirent sa prudence et son amour pour ses sujets. SCÈNE SECONDE. Une rue. Un jeune libertin, nommé Lucio, rencontre dans une rue de la ville deux gentilshommes de sa connaissance. Il les raille sur leurs moeurs déréglées, et reçoit d'eux à son tour la monnaie de ses railleries. |